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puissance inconnue qu’il appelle fatalité. Sa liberté est pour lui toute-puissante, le dégrossissement qu’il opère sur lui-même à l’aide de sa volonté s’appelle perfectibilité. M. Proudhon, il faut bien le dire, est le dernier résultat, la dernière conséquence de ce principe humain. Il est l’extrême représentant des idées qui ont cours depuis un siècle. En lui viennent s’éteindre les pâles et complaisantes croyances du déisme et du théisme, les velléités sentimentales du vicaire savoyard et du culte de l’Etre suprême, pour laisser le champ libre à la théorie des droits de l’homme et au culte de la raison. C’est dans ses livres que ce principe humain se montre entièrement dégagé d’entraves ; le Contrat social, les théories constitutionnelles, les obligations légalement consenties, toutes les barrières sociales, tous les freins de la loi, tous les tressaillemens de la conscience, tous les mouvemens religieux de l’ame et l’entraînement des passions aussi, et le culte du beau, et les frêles liens de la sentimentalité elle-même, tout cela a été par lui brisé, nié, étouffé. Dans sa philosophie, Dieu et l’homme ne peuvent coexister ensemble ; ils sont deux puissances étrangères et inconnues l’une à l’autre. L’humanité porte en elle-même sa loi son être et sa vie ; aucunes règles, excepté celles qui résultent de l’universelle règle de doit et avoir. M. Proudhon est la dernière conséquence de ce principe, comme De Maistre est la dernière conséquence du principe opposé.

Si de la philosophie nous passons à la science, remonterons-nous avec elle vers des sphères supérieures ? Nullement. La science, de notre temps, est entièrement pratique et utile, c’est-à-dire qu’elle se préoccupe avant tout des services qu’elle peut rendre. La vieille locution dont usaient les savans d’autrefois, les intérêts de la science, est une locution qui n’a plus de sens. La science n’a plus d’intérêts propres ; c’est elle qui sert les intérêts. Les découvertes de la science moderne ne sont plus des découvertes dans l’ordre intellectuel, mais des découvertes dans le domaine des faits. Elle se vend, elle se loue à toutes les industries. Pour être acceptée, elle doit être indispensable à la vie, servir aux nécessités et aux agrémens de la société, elle doit pouvoir être appliquée. Si elle ne sert pas à l’homme, elle est encore dans le cas du Dieu de M. Proudhon ; on n’en nie pas l’existence, mais on en nie l’importance. Les mathématiques et les sciences, traitant des lois du monde ont cessé d’être en faveur dans notre temps. La chimie, au contraire, la science de l’analyse, de la décomposition, la science au moyen de laquelle l’homme dissout les élémens des corps afin de créer des corps artificiels, une nature artificielle, pour servir à ses nécessités et à son luxe, n’a pas cessé de s’accroître et occupe aujourd’hui un rang incontesté. La mécanique aussi a créé je ne sais combien de métiers, et chaque jour de nouvelles poulies, de nouveaux