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PITT ET LES FINANCES ANGLAISES.

rallier avec une énergie croissante autour des institutions qui ont fait sa gloire et sa puissance, et maintenir aux affaires le grand ministre qui perdait dans le roi son principal appui.

Les armemens de 1787 pesèrent encore sur le budget de 1788. Pitt tint cependant à honneur de passer encore cette année sans faire de nouvel emprunt, sans établir de taxes nouvelles et sans rien retrancher du fonds d’amortissement voté en 1786. Il y parvint grace à l’habileté de son administration. Les dépenses non prévues au budget de 1787 dépassaient 1,200,000 liv. sterl., ou 30 millions de francs. Pitt prétendit que l’accroissement continu du revenu public suffisait pour les acquitter, mais le revenu de l’année finissant le 5 avril 1788 n’avait été, d’après ses propres relevés, que de 400,000 liv. au-dessus des évaluations du comité ; restaient 800,000 livres qu’il avait dû nécessairement demander à la dette flottante. Quoi qu’il en soit, on comprend combien l’Angleterre dut être frappée d’étonnement en voyant deux années passer sans emprunt et sans taxes nouvelles après tant de charges extraordinaires. Ce qui frappait surtout les regards les moins prévenus, c’était cette augmentation constante des recettes, qui attestaient un développement de plus en plus rapide de la richesse publique. Pitt avait soin de faire remarquer, dans ses exposés, que l’augmentation serait nécessairement plus sensible encore dans les années suivantes, puisque les chances de guerre qui avaient comprimé un moment le commerce n’existaient plus, et l’Angleterre, attentive à ces paroles, voyait s’ouvrir devant elle un avenir infini de prospérité.

Le ministre profita de cette bonne disposition des esprits pour liquider une des dernières charges laissées par la guerre d’Amérique. Ceux qu’on appelait les loyalistes américains ne cessaient de poursuivre le gouvernement de leurs réclamations. Des commissaires avaient été nommés pour examiner leurs titres ; le travail des commissaires étant terminé, Pitt divisa les réclamans en trois catégories, suivant le degré et la nature de leurs pertes. Pour ceux de la première catégorie, il proposa de leur allouer une indemnité égale à la totalité du dommage, quand il n’excédait pas 10,000 livres ou 250,000 francs ; de 10,000 livres à 35,000, la réduction devait être de 15 pour cent seulement, et au-dessus de 35,000 livres, un peu plus forte. Les autres catégories étaient proportionnellement aussi bien traitées. C’était se montrer d’autant plus libéral qu’ainsi que l’avait dit Pitt lui-même en présentant son projet, les réclamans n’étaient nullement fondés en droit. En leur rendant la valeur de leurs biens confisqués par la guerre, la mère-patrie ne remplissait pas envers eux un devoir de justice, elle accomplissait un acte de générosité. Ces générosités bien entendues ne nuisent pas aux états, bien loin de là ; en même temps qu’elles donnent une haute idée de la richesse publique, elles resserrent le lien de la natio-