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gique, en Hollande, en Allemagne, et même en Russie, où le commis-voyageur ne passe une fois par semaine. Il a remplacé le livre français que la censure étrangère proscrit, il tient lieu du journal qu’on brûle à la frontière. Il sait tout, il dit tout sans danger. Lui-même profite de cette éducation qu’il donne à son insu, et revient avec des connaissances très étendues.

Enfin je parvins, non sans peine, à réunir les parties essentielles d’équipage : chevaux, voiture et cocher ; mon cocher savait même un peu le français. J’insiste sur ce dernier avantage, car c’est une erreur assez commune en France de croire qu’en Belgique tout le monde parle couramment notre langue. On se trompe : les Belges, et je n’excepte pas les habitans de Bruxelles, ne parlent le français que pour prouver qu’ils ne le savent pas. Je suis loin de les blâmer de cette ignorance ; je voudrais, au contraire, qu’elle fût plus complète, ma ferme opinion étant que leur décadence dans les arts date du jour où ils ont renoncé à parler et à écrire le flamand pour adopter une langue qui n’est pas faite pour eux. Les Belges, quelle que soit la classe à laquelle ils appartiennent, ne parlent entre eux que le flamand, qui n’est sans doute pas une langue très harmonieuse, mais enfin qui est une langue. C’est par affectation, imitation, que dans le monde ils parlent français ; mais, à la longue, cette contrainte a tué leur intelligence. Le Belge ne s’exprime en français qu’à la faveur d’une traduction mentale qu’il rumine sans cesse. Il pense en flamand, il parle en français, et, comme je viens de le dire, cet effort violent qu’il exerce sur lui-même depuis sa naissance jusqu’à sa mort lui ôte sa verve, éteint sa personnalité, l’énerve, et en fait une nation décolorée, un peuple dont on ne voit que l’envers et jamais l’endroit. La Belgique entière n’est qu’une vaste traduction. Le bas peuple est resté Flamand ; aussi n’entend-il pas du tout le français, et la municipalité de Malines, comme celles d’Anvers, de Louvain et de Bruxelles, a soin d’écrire, à l’intention des habitans, à côté du nom français de chaque rue, le même nom en pur flamand. On m’a rapporté un mot charmant de la reine des Belges qui vient à l’appui de mon opinion sur la fausse position grammaticale de ses sujets. Un député lui disait un jour à Laken, en lui faisant hommage d’un discours qu’il avait prononcé je ne sais plus à quelle occasion : « Votre majesté daignera excuser les fautes qui ont pu m’échapper en écrivant ce morceau. — Donnez, monsieur, donnez-moi votre discours ; interrompit la reine, je le ferai traduire. »

En quittant Bruxelles, nous prîmes le faubourg Louise, nouveau quartier qui sera digne un jour du nom royal qu’il porte, celui de la reine des Belges. Les constructions de ce faubourg aristocratique déploient les proportions superbes de nos hôtels de la rue de la Paix. Elles auraient la même majesté sans le vernis beaucoup trop chatoyant