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et, pour cela, de retrancher tout ce qui la cachait[1]. Exemple ingénieux et fécond. Oui, toutes les grandes idées et tous sentimens sont au fond de notre cœur, comme il y a au fond de tous les marbres des statues cachées. Que faut-il pour faire sortir la statue de sa prison ? Tailler le marbre qui la couvre, pénétrer, pour ainsi dire, jusqu’à elle, et rompre l’enchantement qui la tenait captive. Faites de même pour vos sentimens. Ce qui les couvre, ce qui les cache, ce sont vos passions grossières et ardentes. Taillez, coupez donc hardiment dans cette enveloppe épaisse, ouvrez cette écorce impure et délivrez ainsi vos bons sentimens des entraves qui les gênaient. Non-seulement le procédé est de mise dans l’art de bien vivre, il l’est aussi dans l’art de bien dire. Il n’y a pas un grand sentiment qui n’ait son expression aussi grande et aussi belle que lui-même. Il n’y a pas d’idée qui n’ait sa forme ; mais le malheur, c’est qu’on se contente trop aisément d’une première ébauche, c’est qu’on dégrossit le marbre au lieu de le sculpter. Cherchez au contraire jusqu’à ce que vous ayez rencontré le mot qui représente et qui reproduit l’idée dans toute sa beauté, travaillez jusqu’à ce que cette idée apparaisse dans toute la pureté de sa forme prédestinée, soit dans le marbre, soit sur la toile, soit dans vos vers. Gerson a raison : le beau est au fond de nous ; il ne faut qu’y arriver, et on y arrive, non en ajoutant ce qu’on croit des ornemens et ce qui n’est qu’un embarras on y arrive à condition de retrancher et de circoncire, pour ainsi dire, tout ce qui vient du dehors.

Adjicit ipse nihil, fit ibi detractio sola.

Tel est le poème de Gerson. Voilà ce que l’épopée du Christ devient au moyen-âge et au IVe siècle : naïve, crédule et quelque peu barbare dans Roswitha, — mystique, allégorique, pleine de réflexions et de commentaires dans Gerson ; mais, dans Roswitha comme dans Gerson, vivante et féconde encore, si j’ose ainsi parler, pleine d’inspiration et profondément empreinte du caractère du temps et des hommes. On sent que l’épopée chrétienne n’est pas à ce moment un travail purement littéraire et une fantaisie d’imagination : c’est l’œuvre de la foi et de la dévotion ; les poètes qui la font la dédient moins encore aux hommes pour être admirés, qu’à Dieu, pour être sauvés.


SAINT-MARC GIRARDIN.

  1. Il y a un traité de Gerson intitulé : Quomodo puer Jesus in mente devota concipitur, nascitur, balneatur, nutritur, etc., t. III, p. 685.

    Exemplar dignum factor statuae tibi monstrat,
    Ex ligno informi pulchrum qui format agalma.
    Adjicit ipse nihil ; fit ibi detractio sola
    Partis multiplicis ; formosa resultat imago.
    … Sic quod prius intrat
    Accipito, nihil addideris : species latet intra,
    Eradas facito, quidquid perfectio non est.