Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/650

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi, partout l’allusion à la place du fait, l’explication théologique à la place du récit poétique. Tel est un des caractères du poème de Gerson, né à une époque plus savante et plus raisonneuse que Roswitha ; mais c’est dans ces explications que Gerson me paraît surtout poète parce que c’est là qu’il s’abandonne le plus librement à son génie mystique et contemplatif. Ne cherchez pas le poète épique, c’est-à-dire le conteur ; cherchez l’enthousiaste et le contemplateur. C’est surtout quand la scène qu’il raconte a quelque analogie et quelque rapport secret avec le caractère même de son génie, c’est surtout alors qu’il est poète. Ainsi, lorsqu’il décrit l’extase qui précède la salutation évangélique, son style, malgré la rudesse du latin de la scolastique, Son style a une sorte d’éclat voilé, qui répond admirablement à ce qu’il veut peindre « La Vierge entre dans le divin sanctuaire de son cœur. ; elle s’élève au-dessus d’elle-même. Sa pensée monte et plane au-dessus de tous les cieux. Alors tout ce qui est créé fait silence, alors l’esprit s’épanouit au sein d’une obscurité lumineuse, sans qu’aucune image précise vienne troubler cet ineffable repos, où l’intelligence, agissant en Dieu, converse silencieusement avec ses propres pensées : paix profonde au-dessus de tout sentiment humain, et où ne s’entend plus que la douce haleine de la vie, image encore de Dieu.[1]. »

À côté des sentimens mystiques du Josephina, ce qui domine dans ce poème, c’est l’allégorie ; mais ici, l’allégorie a un caractère particulier. Les pères de l’église et le moyen-âge avaient allégorisé toute l’histoire des Juifs. À côté du sens littéral, ils ont mis partout un sens mystique, et, dans leurs idées, les faits sont à la fois des réalités et des figures. Ce goût d’allégorie, qui se prolonge à travers tout le moyen-âge, avait été souvent poussé bien loin. Ainsi, dans un poème de Pierre de Riga, intitulé Aurora, qui n’est autre chose que la Bible mise en vers latins et commenté à l’aide des allégories reçues dans l’église, se trouvent ces vers singuliers sur les grappes de raisin rapportées de la terre promise par les messagers que Josué y avait envoyés. Ces grappes monstrueuses étaient, comme on sait, portées à l’aide d’une longue perche soutenue par deux hommes, et le poète dit : « La grappe est

  1. …Virgo divinius intrat
    Mentis in arcanum, sustollit seque super se,
    Alta super rapitur, coelos super evolat omnes ;
    Cuncta creata silent, fruitur caligine diva ;
    Nullum interturbat tantam phantasma quietem ;
    Excedit mens acta Deo, loquiturque silenter
    Intus…
    …Sensum haec omnem superat pax ;
    Sibilus hic tenuis, Deus un quo cernitur, aurae est


    J’hésite sur le sens de ce dernier vers. J’avais traduit d’abord : « On n’entend plus que le bruissement de l’air où apparaît encore l’image de Dieu. »