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Roswitha est un personnage curieux, de l’histoire de la littérature au moyen-âge. Elle vivait au Xe siècle, et dans le couvent d’Allemagne où elle s’était renfermée, car c’était une religieuse, elle faisait des poèmes et des comédies en latin. Il y a d’elle six comédies dont le style a l’intention d’imiter celui de Térence, et qui ont pour sujet des légendes et des vies de saints[1]. Le poème de la Nativité de la sainte Vierge n’est que la traduction en vers léonins de l’Evangile apocryphe de saint Jacques Mineur. Le style du moyen-âge, dans Roswitha et dans quelques-uns des poètes de cette époque, mérite d’être étudié avec quelque soin. Ce n’est plus l’ancienne langue latine, telle que nous la connaissons dans les auteurs du siècle d’Auguste, ce n’est plus même la phrase des poètes du Ve siècle, c’est quelque chose de tout nouveau. Les mots seuls sont latins, la langue est moderne. Il y a en effet dans les langues deux choses qu’il importe de distinguer, la phrase et les mots, la syntaxe et le dictionnaire. La phrase est quelque chose qui a son génie et son caractère à part, quels que soient les mots. Ainsi je dirais volontiers qu’entre la phrase grecque et la phrase latine il y a plus d’analogie, malgré les différences des mots, qu’entre la phrase latine du siècle d’Auguste et la phrase latine du moyen-âge. La phrase relève directement du génie du peuple ; elle l’exprime par sa forme bien plus que par ses mots, et, tant que dure la vie de la phrase, c’est en vain que les auteurs cherchent à exprimer des idées nouvelles. C’est là ce qui a perdu les poètes du Ve siècle ; la forme antique e la phrase y altère la nouveauté des idées. Au moyen-âge, il n’en était plus ainsi. La phrase antique avait péri comme l’ancienne société, les mots seuls restaient debout, et les Barbares, s’emparant de ces mots comme ils s’emparaient du sol romain, asservirent la langue latine à leur génie. Ils en disposèrent avec une liberté singulière, et de même qu’ils ont bâti, avec les débris des monumens romains, des édifices qui, sans avoir la majesté et l’élégance de l’antique architecture, ne manquent cependant pas de hardiesse et de force, de même le style du moyen-âge, tout bizarre qu’il est, formé de vieux mots et d’idées nouvelles, ne manque pas de force et d’énergie. Il est curieux de voir comment, sans s’inquiéter du sens que les mots avaient autrefois dans la phrase de Cicéron et de Virgile, le génie des peuples modernes prend ces mots et les place comme il l’entend dans une phrase qui n’est plus latine qu’en apparence. Si vous ne vous arrêtez qu’au dehors, le style est grossier ; point d’élégance, point d’harmonie ; la syntaxe barbare brise, pour ainsi dire, les formes gracieuses de la phrase latine. Cependant, en dépit de toutes ses rudesses, cette langue est énergique ; elle dit ce qu’elle veut dire, elle exprime sa pensée avec effort, mais avec

  1. Voyez l’excellente traduction que M. Magnin a donnée des comédies de Roswitha.