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aux puissances infernales ; mais comme cette simplicité prépare l’esprit à recevoir le récit avec confiance ! Ce n’est point la solennité d’un poème, c’est la gravité d’un procès-verbal ou d’un témoignage. L’auteur ne cherche point à plaire ou à émouvoir, il veut être cru. Voyons le récit de Leucius et de Carinus.

« Nous étions avec tous nos pères placés au fond de l’abîme, dans l’obscurité des ténèbres, quand tout à coup brilla à nos yeux, au milieu de cette nuit profonde, comme un rayon du soleil, et une lumière de pourpre se répandit sur nous. Alors l’antique patriarche du genre humain, Adam, avec tous les patriarches et les prophètes, tressaillit et s’écria : « Voilà la clarté qui vient de l’éternelle lumière. » Isaïe s’écria aussi et dit : « Cette lumière est celle du père et celle aussi du fils que j’ai prédit quand j’étais sur la terre des vivans. » Alors Siméon notre père, rempli de joie : « Glorifiez, dit-il, le fils de Dieu, ce Jésus que j’ai reçu enfant entre mes bras dans le temple du Seigneur ; glorifiez le salut préparé au monde. » À ces paroles, la foule des saints se sentit pénétrée d’une grande joie. Arriva un homme vêtu comme un anachorète du désert. « Qui es-tu ? lui demandons-nous. — Je suis, répondit-il, Jean, la voix du Très-Haut, le prophète qui doit marcher devant la face du Sauveur, afin de préparer ses voies. Le fils de Dieu va bientôt entrer au milieu de nous qui sommes assis dans les ténèbres de la mort. » En entendant ces paroles, Adam, le premier des patriarches, dit à son fils Seth : « Raconte à tes fils, aux patriarches et aux prophètes, tout ce que tu as entendu de l’archange saint Michel, lorsque je t’ai envoyé aux portes du paradis pour demander à Dieu un ange qui te donnât de l’huile de l’arbre de miséricorde, afin d’oindre mon corps, lorsque je serais malade. » Et Seth, s’approchant, raconta aux patriarches et aux prophètes : « J’étais à la porte du paradis, priant le Seigneur, quand l’ange de Dieu, Michel, m’apparut : — Je suis envoyé vers toi par le Seigneur, me dit-il, car c’est moi qui suis chargé de veiller sur l’humanité. Cesse de prier et de pleurer pour avoir l’huile de l’arbre de miséricorde, car tu ne pourras en obtenir que dans les derniers des jours et après l’accomplissement de cinq mille cinq cents années. Alors viendra sur la terre le bien-aimé fils de Dieu, qui sera lui-même baptisé dans le Jourdain, et il oindra de l’huile de miséricorde tous ceux qui croiront en son nom[1]. — À ces paroles de Seth, tous les patriarches et prophètes s’émurent d’une joie nouvelle en s’écriant : « Les temps sont accomplis ! »

  1. La légende ajoute que Seth obtint des anges gardiens du paradis une branche de l’arbre de vie, et qu’il la planta en terre. Cette branche devint un arbre, dont furent faits ensuite la verge de Moïse, la verge d’Aaron, le bois qui adoucit les eaux de Mara dans le désert, la perche au-dessus de laquelle fut élevé le serpent d’airain, et enfin la croix de Jésus-Christ.