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claré inaliénable, même en temps de guerre, et accru d’année en année de l’intérêt composé des sommes rachetées. C’était la théorie de l’amortissement telle qu’elle avait été donnée par le docteur Price et qu’elle a été depuis appliquée en France. Beaucoup d’autres projets avaient été présentés sur un sujet qui occupait tous les esprits, mais Pitt avait préféré celui-là comme le plus pratique et le plus propre à agir sur les imaginations. Il ne s’était pas trompé. L’Angleterre fut émerveillée de tout ce qu’elle entendit dire de la puissance de l’intérêt composé ; il fut démontré par des chiffres que si, de 1716 à 1786, un fonds annuel d’un demi-million sterling ou 12 millions et demi de francs avait été employé sans interruption au rachat de la dette en s’accroissant, d’année en année, de l’intérêt des sommes rachetées, la dette entière de l’Angleterre, cette dette énorme qui pesait si lourdement sur les finances publiques, aurait été entièrement éteinte dans cette période de soixante-dix ans.

Puisqu’un pareil résultat eût été possible avec une dotation annuelle d’un demi-million sterling seulement, grace à la puissance de l’intérêt composé, que ne devait-on pas attendre d’une dotation annuelle du double ! L’Angleterre accueillit avec un véritable transport de joie le projet de Pitt et les calculs à l’appui ; elle se crut dégagée dans un court délai du fardeau de sa dette, et en effet, si aucun emprunt nouveau n’était venu détruire l’effet de l’amortissement institué par Pitt, les conséquences annoncées par les chiffres se fussent réalisées mathématiquement. Une seule condition était nécessaire, c’était que l’excédant annuel d’un million sterling des recettes sur les dépenses fût réel ; or, cette condition ne fut que bien rarement remplie, elle ne l’était pas même au moment où Pitt l’annonçait si pompeusement, et le temps n’était pas loin où la guerre contre la France allait contraindre le pays à contracter une dette nouvelle bien autrement gigantesque que l’ancienne. Le fameux amortissement de Pitt ne fut donc jamais qu’une illusion, mais l’Angleterre n’y regarda pas de si près, et cette illusion suffit pour fonder chez elle le crédit public sur des bases inébranlables. Dans les momens les plus difficiles de la guerre contre la France, Pitt n’eut qu’à maintenir résolûment le principe de l’amortissement, tel qu’il l’avait posé en 1786, pour réaliser sans difficulté des emprunts énormes. Dans ces derniers temps, le gouvernement anglais a pu supprimer avec raison la dotation annuelle de l’amortissement, l’expérience ayant démontré qu’il n’y avait de véritable amortissement que l’excédant des recettes sur les dépenses, mais la reconnaissance de l’Angleterre envers Pitt n’en doit pas être amoindrie.

Pitt comprit si bien l’importance de ce bill d’amortissement, qu’il voulut donner à sa sanction une solennité particulière. Le bill ayant passé dans les deux chambres presque sans opposition, le roi se rendit