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par le crédit de son frère le député. Il disposa donc trois postes, dont l’un fut placé à Ménilmontant, l’autre à Ecouen, village situé à deux myriamètres d’Ecouen. C’est à cette époque que furent arrêtées entre les frères Chappe les dispositions et les combinaisons du télégraphe actuel.

Quand les stationnaires furent convenablement exercés à toutes les manœuvres de la ligne, l’inventeur demanda au gouvernement l’examen public de sa découverte. Un an s’écoula sans amener de réponse. En d’autres temps peut-être, ce retard eût été indéfini, et le projet de Chappe, enseveli dans les cartons poudreux d’un ministère, serait resté à jamais oublié, mais, à une époque où plusieurs armées se trouvaient éparses sur des points éloignés du territoire, un agent de correspondance précieux à tant d’égards devait appeler l’attention des dépositaires de l’autorité publique. Un député, nommé Romme, qui avait quelques notions scientifiques, découvrit l’exposé de Chappe dans les bureaux du comité de l’instruction publique. Frappé de la lucidité de ce travail et en comprenant toute l’importance, il le signala avec éloge au comité. Nommé rapporteur du projet, le 4 avril 1793, le mémoire de Chappe à la main, il monta à la tribune, et obtint de la convention qu’une somme de 6,000 francs fût consacrée à l’essai de ce système télégraphique.

Les expériences eurent lieu le 12 juillet suivant, Danou et Lakanal, commissaires de la convention, se tenaient à Saint-Martin, l’un des postes extrêmes, avec Abraham Chappe ; Arbogast et quelques autres députés se trouvaient, avec l’abbé Chappe, à Ménilmontant. Les expériences durèrent trois jours ; à la distance de sept lieues, toutes les dépêches furent transmises avec une précision et une promptitude extraordinaires. De retour à Paris, les commissaires firent à la convention un rapport qui détermina l’assemblée à ordonner l’établissement d’une ligne télégraphique de Paris à Lille. L’établissement de cette ligne exigea deux ans de travaux. Nous n’avons pas besoin de dire quels obstacles il fallut surmonter, quelles ressources, quelle activité il fallut déployer dans l’organisation d’un système où tout était nouveau. Ces difficultés ne pouvaient être vaincues que par le courage, la persévérance et l’accord d’une famille intéressée au succès d’une création dont la gloire devait lui revenir tout entière.

La ligne télégraphique fut inaugurée par l’annonce d’une victoire. Dans la séance du 12 fructidor 1794, Carnot apporta à la convention la nouvelle expédiée par le télégraphe de la prise de Condé sur les Autrichiens. Aussitôt les applaudissemens éclatèrent sur tous les bancs de l’assemblée. La convention transmit immédiatement cette dépêche : « L’armée du Nord a bien mérité de la patrie. » Elle envoya en même temps un décret par lequel le nom de ville de Condé était changé en celui de Nord-Libre. La dépêche, la réponse et le décret furent transmis avec une telle promptitude, que les ennemis crurent que la convention elle-même siégeait au milieu de l’armée.

Dans les dernières années de la république et sous l’empire, les frères Chappe organisèrent toutes les lignes télégraphiques qui sillonnent aujourd’hui la France. Ils furent naturellement mis à la tête de l’administration des télégraphes. Claude Chappe est mort sous l’empire, à la suite d’un dîner de savans. Les convives étaient un peu animés ; Claude Chappe se laissa choir dans un puits qu’il n’avait pas aperçu. Il eut la fin de l’astrologue de la fable, avec lequel il n’est pas sans avoir eu quelque ressemblance durant sa vie. Les deux frères