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À part ces bizarreries, Bergstrasser a rendu des services sérieux la télégraphie. Ses calculs pour la combinaison des chiffres représentatifs des mots étaient d’une rare justesse. Sa prévoyance n’était jamais en défaut. Il prévoyait même le cas où les interlocuteurs ne pourraient s’apercevoir entre eux, bien qu’ils fussent assez près pour se toucher. Alors il armait leurs mains d’un miroir avec lequel ils dirigeaient les reflets du soleil sur un objet placé à l’ombre. La répétition de ce signal à intervalles fixes était la base de son alphabet.

On voit aisément toutefois qu’avant la découverte de Claude Chappe, l’art télégraphique ne présentait que des principes confus et vagues, entièrement privés de la sanction d’une pratique sérieuse. Toutes ces idées, dont la plupart étaient resté sans application, n’enlèvent donc rien à l’originalité des travaux de Chappe, qu’il est juste de considérer comme le seul inventeur de la télégraphie moderne.


II

Claude Chappe était fils d’un directeur des domaines de Rouen ; il était le neveu de l’abbé Chappe d’Auteroche, que son dévouement à la science a rendu célèbre, et qui, envoyé par l’Académie des Sciences dans les déserts de la Californie pour observer le passage de Vénus sur le disque du soleil, y périt victime du climat de ces contrées. Claude Chappe était né à Brûlon, dans le département de la Sarthe. Cadet d’une famille nombreuse, il entra dans les ordres. Il avait obtenu à Bagnolet, près de Provins, un bénéfice d’un revenu considérable, qui lui fournissait les moyens de se livrer à son goût pour les recherches de physique. À l’âge de vingt ans, il faisait déjà partie de la société philomatique, qui commençait à cette époque à rendre aux sciences les services qui devaient et plus tard recommander si dignement son nom à la reconnaissance publique.

La révolution française l’arrêta dans ses travaux. Il perdit son bénéfice et retourna à Brûlon au milieu de sa famille, où il retrouva quatre de ses frères, dont trois venaient aussi de perdre leurs places. Dans ces circonstances, il lui vint à la pensée de mettre à profit quelques essais qu’il avait entrepris de concert avec ses frères dans les premières années de sa vie. Il espéra pouvoir tirer parti, dans l’ïntérêt de sa famille, d’une sorte de jeu qui avait fourni des distractions à sa jeunesse. Claude Chappe avait été élevé dans un séminaire près d’Angers, tandis que ses frères étaient placés dans une pension à une demi-lieue du séminaire. Pour tromper les ennuis de la séparation et de la solitude, il avait imaginé une manière de correspondre avec ses frères. Une règle de bois tournant sur un pivot et portant à ses extrémités deux règles mobiles de moitié plus petits était l’instrument qui leur avait servi à échanger quelques pensées. Par les diverses positions de ces règles de bois, on obtenait cent quatre-vingt-douze signaux qu’il était facile de distinguer avec une longue vue. Claude Chappe pensa que l’on pourrait tirer un grand parti de ce mode de signaux, en l’appliquant sur une échelle étendue aux rapports du gouvernement avec les villes de l’intérieur et de la frontière. Il proposa donc à ses frères de perfectionner ce moyen de correspondance et de l’offrir ensuite au gouvernement.