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En 1788, François Dupuis habitait Belleville, tandis que son ami Fortin avait sa résidence à Bayeux. Pour correspondre avec son ami à travers la distance de plusieurs lieues qui les séparait, Dupuis imagina et fit construire une machine télégraphique. Cette machine devait avoir quelque valeur, car elle a subsisté long-temps. Cependant, à l’apparition du télégraphe de Chappe, Dupuis la fit enlever.

En Allemagne, un savant de Hanau, nommé Bergstrasser, a consacré sa vie presque entière à l’étude de la télégraphie. Il a écrit sur ce sujet plusieurs ouvrages estimés et a construit un très grand nombre d’appareils télégraphiques. Le mérite principal de ses travaux se trouve dans les perfectionnemens qu’il a apportés au vocabulaire de la correspondance. Il représentait les mots par des chiffres ; seulement, comme le système ordinaire de numération aurait exigé un trop grand nombre de caractères, il faisait usage de l’arithmétique binaire ou quaternaire, qui n’emploie que deux ou quatre signes pour représenter tous les nombres. C’est le système auquel sont revenus aujourd’hui les ingénieurs anglais dans leur télégraphe. Cependant Bergstrasser se proposait moins de construire un télégraphe que d’expérimenter tous les moyens qui permettent de transmettre au loin la pensée. Il avait étudié dans cette intention les différens procédés de correspondance télégraphique qui avaient été imaginés avant lui. Il employait le feu, la fumée les feux réfléchis sur les nuages, l’artillerie, les fusées, les explosions de poudre, les flambeaux, les vases remplis d’eau, signaux des anciens Grecs, le son des cloches, celui des trompettes et des instrumens de musique, les cadrans, les drapeaux mobiles, les fanaux, les pavillons et les miroirs. Nous n’avons pas besoin d’indiquer tout ce qu’avait d’impraticable la combinaison de tant de moyens différens. Comme l’arithmétique binaire exige que l’on répète un très grand nombre de fois les signes qui représentent les nombres, pour peu que ces nombres soient élevés, il en résultait que, pour transmettre une phrase de quelques lignes, il fallait reproduire à l’infini le même signal. Si l’on faisait usage du canon ou de fusées, pour une phrase composée d’une vingtaine de mots, Bergstrasser faisait tirer vingt mille coups de canon ou vingt mille fusées. L’excentricité allemande ne perd pas ses droits ; Bergstrasser fut un moment sur le point de voir adopter ses vingt mille coups de canon.

Il ne manquait à sa gloire que d’avoir composé un télégraphe vivant. C’est ce qu’il fit en 1787, en dressant un régiment prussien à transmettre des signaux. Les soldats exécutaient les manœuvres télégraphiques par les divers mouvemens de leurs bras. Le bras droit, étendu horizontalement, indiquait le numéro un ; le gauche, placé de la même manière, le numéro deux ; les deux bras ensemble, le numéro trois ; le bras droit en l’air ; le numéro quatre, et le bras gauche ainsi élevé, le numéro cinq. Ces télégraphes animés ont manœuvré en présence du prince de Hesse-Cassel. Le régiment obtint un succès de fou rire[1].

  1. Un autre original, le baron Boucheroeder, parait avoir été jaloux de l’invention des télégraphes animés. Il était colonel d’un régiment de chasseurs hollandais, et en 1795 il dressa ses soldats à des manœuvres télégraphiques. La moitié du régiment déserta ; autre moitié entra à l’infirmerie. Au sortir de l’hôpital, les soldats refusèrent de recommencer les exercices ; le colonel, furieux, alla se plaindre à l’empereur François, qui lui rit au nez. C’est le même Boucheroeder qui, dans son traité de l’Art des Signaux, imprimé à Hanau en 1795, prétend que la tour de Babel n’avait d’autre objet que d’établir un point central de communications télégraphiques entre les différentes contrées habitées par les hommes.