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de M. Corot, c’est l’absence de facture. Le mode le plus simple est toujours celui qu’il choisit pour rendre son impression, sans cesse rafraîchie à l’éternelle source du beau et du vrai. Interprète à la fois naïf et intelligent, il joint à une distinction constante, à un choix toujours heureux de lignes, je ne sais quel tour poétique qui donne un charme intime et pénétrant au moindre bouquet d’arbres, à un ruisseau coulant à travers des saules.

Les paysages de M. Corot parlent à l’ame et font rêver ; ceux de M. Rousseau ne parlent qu’aux yeux. On a très judicieusement placé côte à côte ces deux peintres dans l’arrangement des tableaux du salon, et provoqué une comparaison pleine d’intérêt entre la Vue prise en Limousin, si pleine d’ombre, de fraîcheur et de mystère, et l’ardent Coucher du soleil, où M. Rousseau a saisi avec bonheur les mobiles et fugitifs aspects du ciel à la dernière heure du jour. M. Rousseau rend bien les jeux infinis des nuages, qui, en cet instant, se colorent de mille teintes aussitôt évanouies. Il arrête pour ainsi dire au passage ces légers flocons couleur de rose, ces larges bandes violettes, ces lambeaux de pourpre et d’or qui nagent, poussés par le vent du soir, dans l’atmosphère transparente, et au moyen de quelques silhouettes de chênes vigoureusement découpées, il fait admirablement valoir le vert pâle et limpide dont se teint l’horizon après que le soleil a disparu. Montez sur les coteaux de Meudon par un soir d’été, et, à travers les troncs clairsemés d’une futaie récemment mise en coupe, vous trouverez exactement les tableaux de M. Rousseau. Malheureusement c’est un peu toujours le même effet que reproduit M. Rousseau : un ciel en fournaise et des terrains de broussailles grillés par le soleil d’automne. Cet artiste s’est fait pour son usage une sorte de nature rissolée qui, depuis la création du monde, ne connut jamais la pluie bienfaisante. Les Terrains d’automne en sont la plus haute expression. Ici, le peintre a divisé sa toile en deux zones, dont l’une, plongée dans une obscurité presque complète, ne laisse entrevoir qu’un inextricable fouillis de touches roussâtres et brûlées ; où la meilleure volonté du monde ne saurait discerner une branche, un buisson, un mouvement de terrain. On dirait une palette râclée. C’est de la manière toute pure, et M. Rousseau, le réaliste par excellence, se trouve, lui, infiniment plus éloigné de la nature que M. Corot, toujours candide et vrai dans son interprétation.

Si l’on veut un exemple bien curieux des incroyables exagérations auxquelles peut conduire le système de M. Rousseau, on n’a qu’à se transporter devant un tableau intitulé Un effet d’orage, par M. Hervier. À cinq ou six pas de distance, l’œil y aperçoit tout ce qu’il veut, un ciel gris et humide, des terrains calcaires détrempés par la pluie, encombrés de broussailles mouillées, de troncs d’arbres ruisselans. De