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prend que leurs habits. Dans les infiniment petits, il faut encore citer M. Stenheil ; ses fleurs valent mieux que ses figures. Il a mis de superbes giroflées jaunes grosses comme des ailes de mouche dans des vases du Japon hauts comme l’ongle d’une jeune fille ; le tout tiendrait presque sur un chaton de bague, et ce serait un délicieux bijou.

Admettez-vous la hiérarchie des genres ? Pensez-vous que la Vierge à la chaise ou l’Antiope aient une valeur absolue plus haute qu’un taureau de Paul Potter ? Grande question très débattue entre les faiseurs d’esthétique. Si vous vous prononcez pour l’affirmative, vous risquez de vous faire faire un mauvais parti, par une foule de furieux qui, ne tenant compte que du rendu et de la reproduction matérielle, prisent un paquet de carottes à l’égal d’une belle tête. On pourrait bien leur faire observer que l’exécution ne constitue pas tout le mérite d’un tableau, que l’étude de la figure humaine, offrant plus de difficultés et nécessitant un travail d’esprit plus compliqué, motive la prééminence accordée aux peintres d’histoire, aux portraitistes sur les paysagistes et sur les peintres de nature morte ; que cette supériorité, enfin, est visiblement constatée chaque fois que les premiers se passent la fantaisie de faire une excursion sur les terres des seconds, comme cette année, par exemple, ou M. Eugène Delacroix a fait des fleurs qui sont, en vérité, plus belles que celles de M. Saint-Jean, jusqu’ici réputé le maître du genre, tandis que M. Saint-Jean, je ne dis pas ceci pour l’humilier, ne pourrait peut-être pas seulement faire la Desdémone de M. Eugène Delacroix. Sans prétendre rien trancher, j’estime pourtant que l’absence de la figure humaine est un signe d’infériorité au point de vue de l’exécution comme au point de vue de l’invention ; si l’on m’accorde ce principe qui détermine bien la situation actuelle de la peinture, je constaterai volontiers que les œuvres les plus intéressantes du salon, celles qui approchent le plus de l’idéal poétique que nous poursuivons, ce sont, avec les souvenirs d’Afrique de M. Fromentin, les fleurs de M. Delacroix, les cinq paysages de M. Corot et quelques-uns de MM. Rousseau, Flers et Troyon.

M. Delacroix, en peignant des fleurs et des fruits, ne pouvait rester dans les conditions banales et étroites de ce genre, voisin de l’ornementation ; aussi, avec une corbeille, quelques plantes et un bout de ciel, a-t-il fait deux véritables compositions, pleines de noblesse et d’une majestueuse élégance. Là, comme partout, on sent l’ongle du lion. On préfère généralement ses fleurs au tableau intitulé Fleurs et Fruits. Au point de vue de l’harmonie et de la couleur, les fleurs de M. Delacroix sont en effet supérieures à ses fruits. Une corbeille renversée laisse rouler terre une masse brillante, où les couleurs les plus splendides sont associées avec un art infini ; des tiges de roses trémières, cette plante au port si élégant, aux nuances si variées, s’élèvent