Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/562

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la Pologne avait pris plaisir à chercher asile dans la chapelle délaissée d’un quartier antique de Paris ; il avait lui-même apporté une image de la Vierge de Wilna, l’une des deux vierges miraculeuses de la Pologne, et chaque jour, du lever au coucher du soleil, une foule d’adeptes adoraient, la face contre terre, cette image dans l’église de Saint-Séverin. M. Mickiewicz ne montait point en sa chaire du Collège de France sans avoir passé là une heure de recueillement et de méditation. La place Vendôme était aussi honorée des visites fréquentes des disciples de M. Towianski ; ils y venaient aspirer à cœur ouvert les grandes inspirations du héros, qui partageait avec la Vierge leurs hommages et leur culte. Ils n’eussent point passé la tête couverte devant le bronze triomphal d’où le Christ-soldat, comme du centre du monde nouveau contemple la ville et l’univers. La dévotion à la Vierge patronne de la Pologne et la dévotion à l’empereur, premier messie des peuples slaves, étaient les signes extérieurs auxquels les prosélytes du messianisme se faisaient connaître.

M. Towianski, devenu suspect, dut quitter Paris et se réfugier tantôt en Suisse, tantôt en Belgique, jusqu’à ce que la France lui fût rouverte[1]. Il agissait du fond de l’exil. Il avait d’ailleurs, dès l’origine, déposé sa parole, l’esprit du Verbe, dans un écrit de quelques pages intitulé Banquet[2], publication mystique dont le sens n’est point toujours bien saisissable, et qui, par cette raison même, exerçait davantage l’imagination des gens de bonne volonté.

Qu’importe ce que M. Towianski est devenu et quels fantômes poursuit son intelligence ? Semblable à sa théorie, il a passé dans l’émigration comme un brouillard, comme passent d’habitude les élucubrations émanées de ces sources de rêverie qu’il a si souvent fréquentées à l’ombre des forêts mythologiques de la Lithuanie. Sa principale gloire, je voulais dire son principal méfait est d’avoir subjugué et asservi l’intelligence de M. Mickiewicz, dont la justesse et la vigueur eussent été si précieuses pour son pays ; qui ne l’a pas déploré ? M. Mickiewicz, en se faisant avec une si grande complaisance le saint-Jean de ce messianisme, inclinait étrangement du côté des fantaisies apocalyptiques. Il était le disciple du Verbe, et cette pensée le remplissait d’un feu mystique qui l’épuisait en le consumant. Je ne sais quoi de

  1. L’expulsion de M. Towianski fut signée le 13 juillet 1842, le jour même de la mort du duc d’Orléans. Les messianstes virent dans cette mort le doigt de Dieu, qui vengeait son messie méconnu. Un jeune écrivain, qu’une imagination vive et curieuse conduit du côté de cette école, mais qu’un excellent fonds de science et de raison en avait ensuite écarté, M. Lèbre, dont les lecteurs de cette Revue n’ont peut-être pas oublié le nom, mourut quelques jours après s’être éloigné de M. Mickiewicz : c’était un nouveau signe du Dieu vengeur de Towianski.
  2. Cet écrit a été traduit vraisemblablement par un Polonais qui savait peu de français, ce qui n’ajoute point à la clarté de la pensée.