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Les diplomates semblaient être de cet avis comme les poètes. Ceux-ci, toutefois, en se proposant de retremper le christianisme latin aux sources de la tradition n’auraient fait que le pousser à l’illuminisme, s’ils eussent été suivis. L’intervention inattendue d’un personnage jusqu’alors inconnu détermina cet écart de la philosophie polonaise. Si j’ouvre le cours de M. Mickiewicz (l’Église et le Messie), je lis, au chapitre intitulé Maître, ces paroles encadrées dans une mise en scène non dépourvue d’étrangeté :

« Je ne suis pas un docteur, ce n’est pas à moi de vous enseigner les mystères de la nouvelle révélation ; mais je suis une des étincelles tombées du flambeau, et ceux qui en suivront la trace trouveront peut-être plus facilement que moi CELUI qui est la voie, la vie et la vérité… Comme je ne parle pas appuyé sur un livre, comme je ne vous expose pas un système, je me proclame à la face du ciel le témoin vivant de la révélation nouvelle, et j’ose sommer ceux d’entre les Polonais et d’entre les Français qui sont parmi vous et qui connaissent la révélation, qu’ils me répondent comme hommes vivans, qu’ils me répondent : Existe-t-il, oui ou non ?… » (Ceux à qui s’adresse l’appel se lèvent, et, la main levée, répondent : Oui.) « Ceux d’entre les Polonais et d’entre les Français qui l’ont vue incarnée, qui ont vu et qui ont reconnu que leur maître existe, qu’ils me répondent : Oui ou non !… » (Ceux à qui s’adresse l’appel se lèvent et répondent : Oui.) « Et maintenant, mes frères, ma tâche devant Dieu et devant vous est finie. Puisse ce moment vous donner toute la joie et toutes les vastes espérances dont je suis rempli ! »

Quel était ce maître, ce messie de la foi nouvelle dont le professeur venait ainsi témoigner devant son auditoire ?

Au milieu d’un siècle raisonneur, la race polonaise possède le privilège de sentir vivement et de parler avec tout le mouvement intérieur de l’émotion. Lorsque ce don de la nature se rencontre dans quelque tête hardie avec un peu d’étude et d’art, il produit un genre d’éloquence admirablement propre à agiter les imaginations et à remuer les fibres de la sensibilité. Et si cette qualité précieuse de penser avec émotion et de s’exprimer en images saisissantes, était unie à un désir ardent d’agir, à cet instinct de supériorité qui fait les sectaires, elle atteindrait à un haut degré de fascination. Tel était la nature de ce personnage mystérieux que M. Mickiewicz désignait sous le nom de maître avec la dévotion plus que fervente d’un disciple. Les profanes osaient l’appeler Towianski. M. Towianski était un petit gentilhomme lithuanien comme M. Mickiewicz, et nourri comme lui des traditions religieuses de cette contrée féconde en légendes.

La carrière apostolique de M. Towianki avait commencé par une faveur d’exception ; il avait été prophète en son pays. Les gens de son entourage, les paysans, le tenaient pour un esprit supérieur ; ils subissaient respectueusement son empire. Aussi l’entourèrent-ils de leurs sympathies