Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/558

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fidèles à leurs préjugés, se croyant à eux seuls tout l’Orient et le boulevard de l’Europe contre le panslavisme russe, persistaient à repousser toute proposition qui eût impliqué le sacrifice de leur prépondérance sur les Slaves et les Valaques de Hongrie. Au fond, le cabinet autrichien et le divan pouvaient s’accommoder de la politique des diplomates polonais ; car, d’un côté, en prêchant le slavisme, ceux-ci essayaient, pour mieux combattre l’influence russe, de réunir les Slaves et les Valaques de Turquie autour du sultan ; de l’autre côté, ils ne songeaient à soulever les Slaves d’Autriche contre le cabinet de Vienne qu’autant que les Allemands autrichiens prétendraient rester à tout prix des Russes. Le prince Czartoryski put se féliciter bientôt d’avoir donné une vive impulsion à cette politique. Le parti qu’il dirigeait ne tarda pas, en effet, à prendre dans les affaires slaves une influence que le slavisme littéraire n’était plus en mesure de lui disputer.


III

À peine la propagande diplomatique avait-elle substitué son action à celle du slavisme littéraire, que celui-ci disparut, absorbé tout entier dans le slavisme religieux. C’était une heureuse pensée, si elle n’eût été bientôt dénaturée, de fortifier ce mouvement national des Slaves en appelant la religion à y concourir. Il était dans le caractère un peu mystique des écrivains polonais d’y songer. Le clergé polonais, en prenant une part active à l’insurrection de 1831, avait maintenu à l’église toute sa popularité parmi les patriotes ; et, quoique la papauté eût livré pieds et poings liés le glorieux catholicisme polonais à l’orientalisme de la Russie, la Pologne, plus chrétienne assurément que le pape, avait conservé sa ferveur catholique. C’était un instrument du patriotisme, une des grandes forces de la nationalité dans sa lutte avec le czar schismatique. À la vérité, cet attachement au catholicisme était d’une certaine manière une défaveur pour la Pologne dans ses rapports avec les populations de la Bulgarie et de la Serbie. Cependant l’émigration polonaise, la diplomatie comme la poésie, autant par entraînement religieux que par résignation, s’était réfugiée avec espoir à l’ombre de la croix romaine.

Il est certain que le catholicisme polonais était plus expansif et plus hardi que celui de la vieille église latine, où se maintenaient encore la charité et la pureté des mœurs, mais non plus le génie ni la foi militante. Il est certain que l’idée de réchauffer la vie dans les veines glacées de ce clergé sans vigueur et sans audace n’était point une idée qui fût déplacée en notre temps ni dépourvue d’importance pour l’avenir de la Pologne. Avec une papauté grande par la pensée, la Pologne avait dans le catholicisme redevenu entreprenant un invincible allié.