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royaumes de Croatie et de Slavonie, avec la portion du Banat occupée par les Serbes, possession antique et héréditaire de notre peuple. Osait-on faire aux Roumains de Bucharest et d’Iassy une proposition semblable ? — C’est aussi notre avis, répliquaient-ils, pourvu que tout d’abord vous preniez soin de garantir à nos deux principautés l’annexion de la Hongrie orientale et de la Transylvanie, qui sont le noyau et comme la forteresse de notre nationalité : il sera d’ailleurs entendu qu’en nous débarrassant du magyarisme, l’on nous assurera contre le slavisme, qui nous enserre du nord au midi et peut un jour nous étouffer.

L’embarras était bien autrement grave, si l’on passait de là chez les Magyars. Avec l’entraînement de générosité naturel à leur caractère et la fougue de leur imagination, ils ne manquaient jamais de protester en termes pompeux de leur sympathie pour la cause des nationalités ; mais, par un conseil de cette vanité regrettable qui domine chez eux le libéralisme, ils déclaraient presque aussitôt qu’ils ne connaissaient ni Tchèques, ni Slovaques, ni Illyriens, ni Roumains : il n’y avait en Hongrie, pour ce peuple aveuglé, que des Magyars et des sujets de Magyars. Il ne s’agit pas seulement ici des Magyars antédiluviens, qui, sans tenir aucun compte des faits accomplis depuis trois siècles, eussent voulu une Hongrie maîtresse de l’Europe orientale ; il s’agit des esprits les plus éclairés et les plus libéraux de la race magyare, de ceux-là même qui, portés au pouvoir par la révolution, ont été appelés à jouer un rôle dans la guerre luttes brillantes à la tête du parti progressiste. La prépondérance du Magyar sur tous les peuples de la Hongrie, telle était la stipulation à défaut de laquelle les Magyars refusaient primitivement de s’entendre avec les adversaires polonais du panslavisme.

Si donc il était facile à la propagande polonaise de susciter des inimitiés et de constituer une opposition à la Russie parmi les peuples du Danube, il l’était beaucoup moins de réunir ces inimitiés en un seul faisceau. Chacun de ces peuples, envisagés isolément, était prêt à écouter le langage de la Pologne et à lui promettre ses sympathies les plus vives, sitôt que la question des nationalités danubiennes se posait dans son ensemble, alors c’était le spectacle de la désolation. On n’entendait partout que les cris discordans de passions irréconciliables et de part et d’autres de violens appels à une guerre de races. Comment conjurer cette guerre, près d’éclater à la première occasion ? Comment prévenir les écarts de ces passions si promptes à s’enflammer L’entreprise était hardie ; la Pologne ne recula point.

II

L’action des émigrés polonais chez les populations du Danube se