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on exploita en eux la généreuse et décevante espérance de rentrer un jour, la croix d’une main et l’épée de l’autre, dans Sainte-Sophie. Ce que Pierre-le-Grand avait promis, Catherine essaya de le tenir, et ses successeurs l’ont imitée dans cette série de guerres et de traités qui forment la base du protectorat russe en Turquie. Cependant les peuples protégés, après avoir été dupes de cette bienveillance ambitieuse, n’avaient point tardé à s’apercevoir qu’en acceptant le protectorat russe, ils n’avaient fait que changer de joug, et qu’à tout prendre, celui de la Turquie., quoique moins éclairé, était incomparablement moins lourd. Leur attitude prouva bientôt à la Russie qu’il fallait recourir à un autre plan et donner une base politique à une propagande qui s’était trop long-temps renfermée sur le terrain religieux. La diplomatie russe, se prêtant avec souplesse à l’esprit des temps, sut avec à-propos s’emparer d’une idée nouvelle qui devait bientôt dominer l’idée religieuse. L’empereur avait revêtu avec son caractère de pontife grec celui de czar slave, et il pouvait flatter ainsi cette ambition naissante des jeunes peuples de Bohême, de Croatie, de Bulgarie, de Serbie, en s’efforçant de l’attirer dans un nouveau système politique dont il eût été le centre. Les résultats de ce nouveau système ne répondirent pas à l’attente de la Russie. Les peuples slaves de la Turquie et de l’Autriche, instruits par l’expérience du protectorat religieux, frappés surtout par cette grande iniquité du czarisme envers les Slaves de Pologne, n’accueillirent qu’avec inquiétude ou même repoussèrent avec fermeté cette propagande déguisée sous le prétexte libéral de la nationalité. Quelques écrivains de la Hongrie et de la Bohême, à la tête desquels se distinguait le poète slovaque Kollar, quelques évêques fanatiques de la Bulgarie, se laissèrent seuls séduire par cette pensée de l’établissement gigantesque d’un empire gréco-slave sur les ruines de l’Autriche et de la Turquie. Ces rêveurs n’étaient point populaires dans leur pays, et il n’était besoin que de bon sens pour montrer à leurs concitoyens que travailler en faveur de ce panslavisme, c’était se préparer le plus redoutable et le plus tyrannique de tous les maîtres. Malheureusement, le plus difficile pour la propagande polonaise n’était pas de prémunir les peuples danubiens contre ces intrigues de la Russie ; c’étaient leurs propres rivalités qu’il fallait combattre, et là commençait la partie vraiment épineuse de cette tâche.

L’esprit de discorde qui régnait sur les bords du Danube était en effet, le plus puissant auxiliaire de la Russie. Allait-on à Prague où à Agram parler d’union des peuples ? — Rien de mieux, répondaient les Tchèques et les Illyriens, mais à la condition que les Magyars de Hongrie voudront bien nous restituer d’abord, à nous Tchèques, toute la Hongrie septentrionale habitée par les Slovaques, population de notre race, et à nous Illyriens, toute la Hongrie, méridionale, nos deux