Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/550

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette œuvre, ceux-ci avec une certaine poésie, ceux-là avec une activité patiente.

Depuis plusieurs années, les Slaves du Danube, les Magyars et les Roumains, avaient entrepris, comme par une même inspiration, renouer leurs traditions nationales interrompues, et de chercher dans le progrès de l’idée de race le levier de leur future indépendance. Ce sentiment s’était emparé à la fois de toutes les populations de l’Europe orientale comprises dans les deux empires d’Autriche et de Turquie[1]. La Pologne poursuivait le même objet ; l’occasion s’offrait belle de tenter là une alliance de principes. Le problème était que faire converger ces évolutions simultanées de la nationalité chez chacun des peuples de l’Europe orientale ; c’était de se mêler au travail intérieur de ces peuples danubiens et de les entraîner ensemble dans la sphère d’action de la pensée polonaise.

La Pologne a trois maîtres. Bien que liés à la même politique la complicité, ils n’ont point cependant usé toujours des mêmes procédés violens à l’égard du pays partagé entre eux. Le joug de la Prusse n’a point marqué au cou de ses sujets de la Poznanie les empreintes sanglantes que portent les Polonais du royaume et de la Gallicie. Le libéralisme de la nation prussienne, les idées constitutionnelles qui s’introduisaient peu à peu dans la forme du gouvernement, les traditions et la situation de ce pays qui semblaient de nature à le mettre un jour en hostilité avec la Russie et l’Autriche, avaient inspiré aux Polonais des sentimens de confiance dans leurs rapports avec la Prusse. Quant à la Russie et à l’Autriche, les opinions de l’émigration étaient divisées. Avant même les événemens de Gallicie, où les Polonais ont cru reconnaître la main de l’Autriche, le cabinet de Vienne était pour beaucoup d’entre eux l’incarnation la plus vraie du système de conquête qui pèse sur la Pologne ; c’était la personnification de la perfidie savante qui les épuise. Pour ceux-là, la domination de la Russie était moins odieuse que celle de l’Autriche. La Russie, disaient-ils, en nous tyrannisant, nous fortifie ; l’Autriche nous divise, nous corrompt et nous énerve. L’Autriche n’était-elle donc pas le premier ennemi à frapper ? Ceux qui raisonnaient ainsi appartenaient pour la plupart à la démocratie. Les autres envisageaient l’état des choses avec moins de passion et plus de justesse. Ils admettaient que la domination et les machinations de la bureaucratie autrichienne étaient plus énervantes pour la Gallicie que les rigueurs oppressives de la police russe dans le royaume. Cependant ils ne pouvaient se dissimuler que l’ennemi vraiment difficile à vaincre, celui de la ruine duquel dépendait directement le sort de la Pologne,

  1. L’histoire en a été faite dans cette Revue, notamment le 15 mars et le 15 décembre 1847, et le 1er janvier 1848.