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de la fortune contraire aux Polonais, car, dans sa défaite, la Pologne a conservé la jeunesse de l’esprit et la fierté du courage. Elle pense ; donc elle existe ; et s’il lui est donné de discipliner cette pensée quelquefois trop ardente, elle peut encore retrouver par son courage tout ce qu’elle a perdu par ses fautes, une existence nationale et libre. Quiconque aura la patience de faire la part du bien et du mal dans la récente histoire des Polonais en retirera cette conviction consolante. Sans doute, la Pologne, comme la liberté elle-même chez nous, sur son sol natal, est destinée à payer les folies de ses partisans ; les causes libérales se sont gravement compromises par l’anarchie, mais toutes ne sont pas perdues.


I

On ne saurait dire que la révolution de février ait pris les exilés polonais entièrement au dépourvu. De tous les esprits mal à l’aise qui pouvaient alors rêver une levée de boucliers, ils étaient les mieux préparés moralement. Depuis 1831, l’imagination de l’émigré n’a pas d’autre perspective ni d’autre but qu’une nouvelle guerre d’indépendance. À voir les chefs de l’émigration plusieurs années après la catastrophe de leur pays, on eût affirmé qu’ils ne cherchaient dans l’hospitalité de la France qu’une tente où ils campaient seulement pour quelques jours. Si les chances qu’ils attendaient ont long-temps reculé devant eux, si le maintien de la paix systématique les a forcés de se résigner à bâtir pour un plus long exil, ils n’ont jamais cessé de voir dans leurs établissemens de France une hôtellerie, un lieu de passage. Ce n’était pas une patrie nouvelle où ils comptaient déposer leurs os. Ceux qui s’y étaient fait une famille et s’y étaient créé des intérêts et des affections se tenaient toujours prêts à briser ces liens au premier appel du pays.

La partie savante de l’émigration polonaise se mêlait non sans éclat en Allemagne et en France aux luttes de la pensée et aux investigations de la philosophie, mais beaucoup moins pour s’absorber dans les systèmes occidentaux que pour essayer d’y introduire la teinte particulière de la science et du génie polonais : tels nous avons vu le poète Mickiewicz en France et les philosophes Trentowski ; Krolikowski, Czieskowski en Allemagne. Diserts, passionnés, naturellement et poètes inspirés par la souffrance, ils répandaient autour d’eux, même quand ils cessaient d’être orthodoxes, je ne sais quel vague sentiment religieux qui avait parfois la gravité du vieux mysticisme chrétien. Chez eux, ce sentiment n’était point un jeu d’imagination, comme chez nous ; ce n’était point la fantaisie d’esprits blasés qui s’étudiaient à souffrir par manière de passe-temps : c’était le cri de l’ame réellement ulcérée ; il prenait, en s’échappant de ces poitrines émues, l’accent