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trai furent cependant ouvertes sans difficultés sérieuses. Le peuple, d’abord opposant, finissait par travailler lui-même à frayer la voie.

En passant la cinquième barricade, à la hauteur de la rue de Choiseul, je chargeai un chef de bataillon de la garde nationale, qui stationnait sur le boulevard, d’assurer, à l’aide de son détachement, l’élargissement de la trouée nécessaire au passage de l’artillerie qui marchait derrière le 3e bataillon. Cet officier supérieur me promit de le faire. Je laissai près de la même barricade un chef d’escadron d’état-major pour activer le mouvement.

C’est en traversant cette barricade que des soldats, répondant au geste de la garde nationale, ont agité et puis porté la crosse en l’air. Je n’ai eu connaissance de ce fait qu’après être arrivé, avec la tête de colonne, dans la rue Royale. On le comprendra facilement, si on veut se rendre compte que mon attention devait être nécessairement absorbée par les réponses à faire aux questions renouvelées de la foule, par les précautions à prendre pour éviter des conflits.

J’ai appris, quelques momens plus tard, que l’artillerie n’avait pas franchi la barricade de la rue Choiseul, et avait été confiée à la garde nationale. D’après les rapports qui m’ont été faits, les plus vives exhortations, les plus énergiques remontrances n’avaient pu triompher de l’effervescence croissante, causée par l’arrivée subite sur ce point de groupes nombreux d’ouvriers et de gardes nationaux. On n’aurait pu ouvrir la barricade qu’après avoir fait feu.

Fallait-il faire feu, fallait-il engager un combat, quand, à quelques minutes de cette barricade, un des nouveaux ministres était porté en triomphe par le peuple ; quand chacun, à cette heure, était encore persuadé que l’émotion publique avait pour cause le fait accompli la veille au boulevard des Capucines ; quand enfin un ordre général et formel prescrivait d’éviter toute collision ?

On ne l’a pas pensé là. On ne l’a pas pensé non plus à l’Hôtel-de-Ville, où se trouvaient huit bataillons et quatre pièces, et où les mêmes causes produisaient, à la même heure, des effets entièrement semblables.

On ne l’a pas pensé, à cette heure et plus tard, partout ailleurs, car, pendant cette journée, les troupes ont été réduites à obéir jusqu’à l’abnégation à des ordres incessamment renouvelés.

Je termine par un seul mot.

Des soldats ont agité et puis porté la crosse en l’air, non pas seulement sur les boulevards, mais sur différens autres points de Paris. Pas un chef n’a donné un ordre à cet égard, qu’on le sache bien. Qu’il soit aussi bien connu que les soldats, répondant au geste de la garde nationale quand il était prescrit d’éviter toute collision, n’ont jamais eu la pensée de faire acte de soumission, et bien moins encore de subir un outrage.

Recevez, je vous prie, l’assurance de mes sentimens les plus distingués.

Le général de division.
A. Bedeau.
Paris, 27 juillet 1849.
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V. de Mars.