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Je ne le pensai pas. J’arrêtai ma colonne en-deçà du Gymnase, et je rendis compte de la situation à l’autorité supérieure.

M. le maréchal Bugeaud répondit à cet avis en m’envoyant des proclamations manuscrites pour confirmer la nomination au ministère de MM. Thiers et Barrot. Ces proclamations furent immédiatement distribuées.

Il est donc inexact de dire que je me sois arrêté après avoir écouté les prières des personnes qui me suppliaient d’éviter l’effusion du sang. Non, je n’ai pas cédé à cette considération, quelque grave qu’elle eût pu être. Mon devoir rigoureux ne me l’aurait pas permis, si j’avais eu devant moi des hommes se déclarant ennemis du gouvernement que j’avais mission de défendre.

Il est également inexact de prétendre que la foule envahissait et submergeait les soldats quand j’ai reçu l’ordre de me retirer.

Au moment où l’ordre général qui prescrivait d’éviter toute collision, et de laisser à la garde nationale le soin de rétablir la tranquillité publique, m’a été remis, les troupes de la colonne que je commandais étaient serrées en masse, et occupaient toute la chaussée du boulevard.

Je venais d’être rejoint par trois cents gardes nationaux sous les ordres du chef de bataillon Grégoire. Cet officier supérieur me ramenait un détachement d’infanterie que je lui avais confie pour faciliter la réunion de la 5e légion.

Des témoignages de satisfaction unanime répondaient autour de nous à la preuve de conciliation donnée par le gouvernement. Je ne crois pas me tromper en affirmant que la plus grande partie des citoyens réunis sur ce point étaient alors sincères dans leurs démonstrations de joie et d’espérance de paix.

Quatre compagnies du 5e léger me rallièrent au même instant. Elles venaient de la caserne de la garde municipale située rue du faubourg Saint-Martin ; elles n’avaient pas rencontré la moindre opposition dans leur marche pour sortir de ce faubourg, où, me dit le commandant, aucune hostilité n’avait été engagée.

Je devais donc m’attendre à ne pas rencontrer plus d’obstacles sur les boulevards ; mais, pour mieux remplir les intentions de l’autorité supérieure, je demandai qu’une compagnie de la garde nationale précédât ma colonne, afin de faciliter l’ouverture des barricades que j’aurais à traverser, et pour prévenir plus sûrement tout malentendu avec le peuple.

Ce fut à la hauteur de la rue Montmartre que je trouvai une foule immense et compacte encombrant les allées et la chaussée du boulevard. Le tumulte y était extrême. Les nouvelles vraies n’étaient pas répandues. À chaque pas, il fallait affirmer le changement du ministère pour calmer l’irritation publique. Toutefois je n’entendis pas un seul cri qui pût faire croire à une pensée révolutionnaire.

Sur le boulevard des Italiens, je vis M. Odilon Barrot se dirigeant vers la Bastille. Il était entouré par le peuple et accueilli par des acclamations unanimes.

Cette rencontre me fit comprendre, mieux encore que la prescription de l’ordre que j avais reçu, quelle était la pensée de pacification qui dirigeait la politique du gouvernement.

La colonne marchait lentement, et avec une grande difficulté, au milieu de cette foule incessamment croissante. Les premières barricades que je rencon-