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coup. Comme l’orateur déroulait le livre des contradictions de la république, proclamant la liberté et ne vivant que par l’état de siége, criant honte à ceux qui sous la monarchie voulaient la paix et gardant elle-même la paix à tout prix, déclamant contre la corruption électorale sous la royauté et achetant les élections avec les fonds secrets, quand elle ne les intimidait pas par l’insolente tyrannie de ses commissaires, s’indignant de ce qu’elle appelait le gaspillage des deniers publics et faisant de ces deniers publics un gaspillage plus effronté que jamais ! « Voilà, disait l’impitoyable orateur, voilà le miroir ; je vous le présente ! » Nous nous souvenions, en l’entendant, que dans l’enfer de Télémaque la punition des mauvais princes, c’est de voir dans un miroir inévitable leurs fautes et leurs vices, tels qu’ils sont, et, non plus tels que les flatteurs les arrangent. Pauvres princes de la montagne ! quelles figures ils se sont vues dans le miroir, de M. Thiers ! Plagiaires ignorans des lois qu’ils avaient détestées, contrefacteurs maladroits de la monarchie, où la monarchie faisait couler à regret une goutte de sang, ils en ont répandu des flots ; où la monarchie mettait une barrière à la licence, ils ont mis un bâillon à la liberté. Ils croyaient peut-être, quand ils maudissaient tant le passé, qu’ils n’auraient jamais leur jour ; ils étaient envieux à leur aise, se sachant ou se croyant irrémédiablement obscurs. Leur jour est venu ; la lumière a découvert leur incapacité. Qu’ils ne se servent donc plus de cette locution de la médiocrité et de l’envie : « Vous ne faites pas, vous ! je ferais, moi ! » Eh bien ! ils ont fait, et qu’ont-ils fait ? Et comme si ce n’était pas assez de les avoir pris en flagrant délit d’impuissance dans le passé, M. Thiers les a convaincus d’impuissance aussi dans l’avenir, en les sommant de venir enfin révéler à la tribune le secret qu’ils ont de rendre le genre humain heureux. Mais les Moïses de la montagne ont horreur du grand jour de la tribune. Donnez-leur l’atmosphère obscure des clubs, quelques quinquets puans qui montrent les ténèbres, une foule ignorante et grossière qui fermente et qui s’agite dans ces chaudières hideuses qu’ils appellent leurs salles ; c’est là qu’ils sauveront le genre humain, c’est là qu’ils feront leurs miracles !

Le discours de M. Thiers est un chef-d’œuvre de raison et de passion. Ce n’est pas le seul triomphe dont le parti modéré puisse s’enorgueillir. M. de Montalembert a parlé avec une vivacité et une élévation d’idées remarquables ; il a dit la vérité à tout le monde ; il se l’est même dite à lui-même, et il a fait sa confession et celle des autres avec le plus charmant mélange d’humilité et de médisance. Le chrétien peut-être à faire pénitence de cette confession-là ; l’orateur et l’assemblée doivent s’en applaudir.

Il faut avouer que cette discussion a été douloureuse, pour la république, ou plutôt pour les républicains de 1848. Ici, M. Thiers, qui leur montre de la façon la plus piquante qu’ils n’ont rien fait de bien qu’ils n’aient emprunté au passé monarchique, avec la violence de plus et l’habileté de moins ; là, M. Dufaure, qui ne cesse de leur dire : « Mais si nous vous remettions un instant le soin de la république, vous la perdriez comme vous l’avez déjà perdue, comme vous perdez toutes les causes que vous touchez ! Pour que la république vécût, il a fallu qu’elle passât de vos mains dans les nôtres. C’est avec nous et par nous seulement qu’elle est possible. » Ainsi la république ne vit que par la contrefaçon de la monarchie ou par les soins des serviteurs de la monarchie ; elle ne vit ni par ses principes ni par ses amis naturels ; hommes et choses, elle ne vit que