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uns des faits qui témoignent que l’ordre rentre peu à peu dans les esprits et dans les choses. C’est ce que le parti montagnard appelle la réaction.

Félicitons d’abord le ministère de la réintégration de quelques-uns des magistrats que le gouvernement provisoire avait suspendus. La cour des comptes a eu sa part dans cet hommage rendu à la justice et au principe fondamental de la magistrature, l’inamovibilité ; mais l’hommage n’est pas complet. Le premier résident de la cour des comptes, M. Barthe, reste encore éloigné de son siège. Nous savons bien qu’en intégrant ainsi les magistrats, le gouvernement blesse M. Crémieux. M. Crémieux a déclaré dernièrement que la réaction commençait à entamer ses actes. La loi sur la presse était déjà une réaction contre M. Crémieux, qui avait, disait-il, brisé les lois de septembre ; la loi sur l’organisation judiciaire en est une seconde ; les actes de réintégration dans la magistrature sont une troisième réaction. Où allons-nous ? Il ne restera bientôt plus rien des actes de M. Crémieux ; ils n’appartiendront plus qu’à l’histoire. Ces actes cependant ont un air de majesté qui les protégera, nous l’espérons, contre l’oubli. Voyez, par exemple, ce décret du 17 avril 1848 qui abolit l’inamovibilité de la magistrature : « Le principe de l’inamovibilité de la magistrature, incompatible avec le gouvernement républicain, a disparu avec la charte de 1830. » Peut-être demanderez-vous pourquoi et comment l’inamovibilité de la magistrature, si elle est utile à la justice, est incompatible avec la république ? Le législateur, pendant les beaux jours du gouvernement provisoire, parlait à la façon des oracles et ne rendait pas compte de ses décrets. Il y a cependant ici une grosse question. La constitution de 1848, dans son article 87, proclame l’inamovibilité de la magistrature : est-ce que par hasard la constitution de 1848 ne serait pas une constitution républicaine ? Est-ce que dès que nous avons eu la constitution, nous avons perdu la république ? car enfin M. Crémieux déclare que l’inamovibilité de la magistrature est incompatible avec le gouvernement républicain. La république de M. Crémieux ne serait-elle dont pas la république de la constitution ? Nous ne voulons pas insister plus long-temps sur cette grave question de savoir qui s’est trompé de M. Crémieux ou de la constitution. Seulement, revenant à la réaction commencée contre M. Crémieux, nous faisons observer que cette réaction date de plus loin que M. Crémieux ne paraît le croire. Elle date de l’adoption de l’article 87 de la constitution, qui donnait un si cruel démenti au décret du 17 avril 1848. M. Crémieux est donc un plus ancien martyr qu’il ne le dit, et nous lui rendons de grand cœur les huit ou dix mois de persécution qu’il ne comptait pas dans ses états de service. Nous nous empressons en même temps de rassurer le ministère actuel : il ne commence pas la réaction contre M. Crémieux, il la continue.

Pendant que nous sommes en train de nous féliciter des progrès de l’ordre et de l’affermissement progressif du gouvernement, nous féliciterons-nous de la reconnaissance que l’empereur de Russie vient de faire de la république et bon accueil qu’il prépare au général Lamoricière, nommé ambassadeur à Saint Pétersbourg ? Oui, nous nous en féliciterons, mais sans enthousiasme. Nous nous en félicitons, parce que nous n’hésitons pas à croire qu’en Europe comme en France les dissentimens et les répugnances particulières doivent s’effacer devant les périls de l’ordre social ; que si, en France, tous les hommes qui veulent le maintien de la société doivent s’unir dans cette pensée et laisser