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REVUE DES DEUX MONDES.

« — Calantha, dit-il en la regardant et après l’avoir considérée quelques secondes, qu’est-il, Gédéon ?

« — Un brave garçon, j’en suis sir, dit M. Chandos.

« Mais en ce moment M. Mordaunt entra, et, regardant Calantha d’un air très contrarié, il dit :

« — Calantha, je croyais que cette affaire était entendue entre vous et moi dès le principe. Je m’étonne que vous ayez pu vous rendre coupable d’une si grande inconvenance. Tom, — Jack, quel est le nom de l’enfant ? – Gédéon, sortez ; votre place n’est pas ici. Vous ne devez pas jouer avec les enfans de la maison. Souvenez-vous-en, monsieur ; que je ne vous revoie plus ici. Calantha, puisque vous ne faites pas votre devoir, vous me forcez à le remplir. – Si, continua-t-il d’un ton de modération et de bonté, vous n’apprenez pas à cet enfant à rester à sa place, d’autres lui donneront la leçon en des termes plus rudes pour vous.

« Et, complètement satisfait de sa manière de voir à ce sujet, M. Mordaunt tourna les talons.

« Le petit enfant était resté debout, tenant la main de Calantha durant ce discours, regardant M. Mordaunt d’un air déterminé qui approchait du défi. Lorsque le maître eut fini, il laissa aller la main qu’il tenait, et, glissant à travers la porte qui conduisait aux appartemens des domestiques, il disparut à l’instant.

« Il ne revint jamais plus dans la salle pendant la semaine que les autres enfans y demeurèrent.

« Le visage de Kitty avait été agité d’émotions diverses durant cette scène, à laquelle, du reste, elle ne comprenait pas grand’chose. Le terrible, pour elle, était de voir grand-papa, personnage très redoutable à ses yeux, en colère contre le pauvre petit garçon. Cependant, avec cet instinct de justice qui est si naturel aux enfans, elle était sûre qu’il ne l’avait pas mérité. Sa petite figure était toute triste. M. Chandos la prit dans ses bras. Elle reposa sa petite tête sur sa poitrine, comme si elle avait grand besoin de consolation ; puis elle la releva, et elle dit en regardant son père d’un air de doute :

« — Ce n’était pas un méchant enfant cependant, papa ?

« — Non, bijou Il ne savait pas qu’il ne devait pas venir dans la salle. Il est sorti, vous voyez, dès qu’on le lui a ordonné. »

La destinée du fils de Miriam était d’avance contenue dans ces tristes scènes d’enfance. Pour le dérober au mauvais vouloir des siens, Calantha l’envoie dans une école. M. Chandos paie la pension. Gédéon joint à une riche nature les qualités que féconde l’éducation hâtive du malheur, la sensibilité profonde, la réflexion précoce, la fierté intérieure. Ses succès dans ses premières études engagent M. Chandos a l’envoyer à Oxford. Il devient un des membres les plus remarquables de l’université et un des jeunes gens les plus distingués de son âge. Calangha et M. Chandos avaient depuis long-temps choisi pour lui une carrière ; il leur avait semblé que l’église était la seule où la tache de sa naissance ne fît point obstacle au brillant avancement que lui promettaient ses talens. L’année où il quitta l’université, M. Chandos l’en-