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LE ROMAN ANGLAIS CONTEMPORAIN.

idée de l’exécution d’un roman en trois volumes. Je voudrais pouvoir exprimer l’impression que laisse la lecture des livres de l’auteur d’Angela. Il y a dans ces charmantes pages une observation si délicate de la vie, un parfilage des fibres les plus ténues du sentiment à la fois si savant, si naturel et si gracieux, que peu de lectures font penser et sentir avec plus d’abondance et d’agrément. Les caractères ne sont pas d’une force d’invention saisissante ; mais ils se développent, agissent et parlent avec tant de réalité, qu’en fermant le livre ils vous restent dans l’esprit comme des personnes vivantes qu’on aurait pratiquées avec goût et dans le commerce desquelles on serait charmé de vivre encore. Le style n’est pas régulier, le trait n’en est pas large et rapide. L’auteur procède par petites touches brisées, répétées, surchargées, qui s’adaptent à la peinture des nuances et des détails où il se complaît et où il excelle ; mais la meilleure façon de faire juger la manière de l’auteur d’Angela serait d’en donner un échantillon. J’en chercherai l’occasion en parlant de Mordaunt-Hall.


Il y a deux romans dans Mordaunt-Hall ; le plus émouvant même, le plus chaud de facture est celui qui, dans le plan de l’auteur, sert d’ouverture et de prologue à l’ouvrage.

Dans un comté du nord de l’Angleterre, près d’une petite ville isolée, un vieux savant vivait avec sa fille unique. Ils habitaient une de ces jolies maisonnettes anglaises si simples, si propres, qu’elles font rêver le passant de paix intérieure et de bonheur domestique. Le petit cottage avec son chaume moussu, ses petites croisées enguirlandées de chèvre-feuille et d’églantier odorant, était comme vêtu de verdure. La petite cheminée qui lançait dans l’air pur sa spirale de fumée, annonçait le comfort de cette demeure. Rien de capricieux, de plantureux, de soigné, de frais, comme le jardin qui enroulait autour ses allées sinueuses couvertes de cailloux de toute couleur, tirés des montagnes voisines. C’était un charmant fouillis de plantations d’utilité ou d’agrément. Il n’y avait pas un pouce de terrain que le vieux propriétaire et sa fille eussent laissé sans culture et qui ne produisît son fruit ou sa fleur.

Les habitans du cottage, M. Feversham et sa fille Miriam, étaient deux êtres intéressans et fantasques. M. Feversham, physicien supérieur, avait pris dans ses habitudes scientifiques des idées qu’il décorait, comme tant d’autres dupes des sciences dites positives, du nom de philosophie. Trompé par une vie unie et facile, il n’avait éprouvé, ni pour lui ni pour sa fille, le besoin des consolations et des espérances religieuses. « Il n’avait jamais connu, dit l’auteur, ce creux et ce vide des choses palpables qui forcent l’homme à chercher malgré lui-même un refuge dans les choses invisibles. » L’éducation de Miriam s’était ressentie de cette indifférence religieuse. Ce fut une éducation à la