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mère, femme ardente, enthousiaste, pleine de talens, lisait le latin et le grec aussi bien que Jane Grey ; mais cette instruction virile recouvrait mal les faiblesses et les préjugés de la femme. Le père, lord Missenden, était un insignifiant viveur : un homme de clubs, de dîners et de courses de chevaux, qui, à force de flâner dans Saint-James Street, de parier à Epsom et à Ascott d’élever des chevaux qui perdaient toujours, avait fini par sentir la nécessité d’aller faire des économies sur le continent. Depuis plusieurs années, les Missenden vivaient donc à Rome, à Naples, à Florence ; seulement le fils, Vavasour, venait chaque printemps en Angleterre. Il restait peu à Londres. Le monde l’ennuyait. Les promenades à cheval au parc, les bals, les mesquines conventions de la vie à la mode lui étaient insupportables. L’Italie avait fait de lui un peintre et un paysagiste ; il aimait les gazons, les clairières, les taillis, les grands arbres, par-dessus tout les champs, et pendant son séjour en Angleterre, il courait s’enfermer à Sherington.

Un matin, en contemplant les eaux, les pelouses, les arbres séculaires de Sherington, en suivant du regard les ondulations du radieux paysage fermé à l’horizon d’une ligne de collines bleuâtres, il fut attiré par le charme de ces lointains vaporeux, et il partit à pied, avec son bagage d’artiste, pour aller voir de près cette partie du pas qui lui était inconnue. Il erra long-temps dans la campagne et arriva fatigué devant une grande ferme. L’air de cette vieille construction en bois, flanquée de pignons immenses, aux poutres sculptées, l’élégance du vieux porche de la façade, la propreté de l’allée sablée qui y conduisait, la fraîcheur du jardin couvert de fleurs printanières, les grands arbres qui surplombaient la longue toiture du côté opposé à la façade, la poésie des bruits et de l’attirail de l’exploitation rustique, le ravirent. Il entra, et, pour se donner une contenance, demanda une tasse de lait à la première servante qu’il rencontra.

On le conduisit dans une vaste salle basse. Les fenêtres s’ouvraient vis-à-vis de deux noyers gigantesques, dont les énormes branches formaient une voûte haute et touffu au-dessous de laquelle on voyait le reste du jardin, et, au-delà, des échappées de bois et de champs. Un immense catalpa élevait à côté sa pyramide de fleurs blanches, qui se détachait comme un bloc de marbre sur le vert sombre des massifs. Ce frais abri recouvrait en ce moment un groupe doux et triste. Sous un des noyers dont les feuilles, baignées de lumière, versaient sur l’herbe épaisse des ombres moelleuses, était assise urne femme malade enfoncée dans d’épais coussins, et au près d’elle, sur un petit tabouret, une jeune fille lisait dans un livre. Sur la figure pâle, amaigrie, mais belle encore de la malade, retombaient des boucles et des tresses de cheveux noirs et lustrés échappés de son petit bonnet. Elle portait une robe de chambre blanche d’une propreté exquise, et, par-dessus, un