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fond en comble la vieille administration, le gouvernement porte une main hardie aux principaux abus. Le personnel des douanes a été organisé à la française et soumis à un contrôle qui garantit l’entière efficacité des nouveaux tarifs. La manie des emplois, cette grande maladie sociale de l’Espagne, s’abattait, depuis quelque temps, de préférence sur les fonctions civiles : une loi vient de régler et d’entourer de conditions sévères l’admission et l’avancement dans la plupart de ces fonctions. L’organisation judiciaire a également subi des modifications importantes. Une forte impulsion vient d’être donnée à l’enseignement primaire. La bienfaisance publique a été organisée, la législation commerciale simplifiée, la législation pénale mieux graduée : faute d’une bonne échelle de peines, les crimes étaient de temps immémorial, en Espagne, plus nombreux que les délits. La police a été centralisée, et l’établissement d’un système de télégraphie complète cette sage mesure. Le mal social est enfin cerné, traqué de toutes parts, happé tout à la fois dans la cause et dans l’effet. Théoriquement, plusieurs de ces réformes laissent encore à désirer c’est peut-être leur mérite. Si le cabinet Narvaez a franchi sans encombre des questions contre lesquelles s’étaient brisés la plupart des autres gouvernemens, c’est que, le premier, il a su sacrifier la théorie à la pratique, faisant au besoin la part du feu, ne brusquant rien avant l’heure, sauf à profiter de l’heure ; appliquant en un mot, selon le vœu trop long-temps méconnu du pamphlétaire Larra, des remèdes espagnols à des maux espagnols.

Et maintenant, nous le demandons : l’Espagne est-elle suffisamment vengée de trente années de dédain ? Le Job des peuples n’aurait-il pas le droit de laisser tomber à son tour l’injure sur le sanglant fumier où s’étalent des orgueilleuses civilisations d’hier ? il fait mieux : il hérite de leurs dépouilles. À tout équilibre qui se rompt, à toute force qui s’arrête, à tout intérêt qui s’engloutit de ce côté-ci des monts, correspondent chez lui un intérêt qui se fonde, un progrès qui s’éveille, une réconciliation qui s’accomplit. La contrepartie se poursuivra-t-elle jusqu’au bout ? Il ne faut jurer de rien, et les Espagnols y marchent. C’est à la France de s’arrêter si elle peut. Quoi qu’il en soit, nous sommes avertis. Si de nouveaux abîmes nous appellent, si nous sommes condamnés à revoir ces heures où chaque pensée est un coup de fusil, chaque bruit un écroulement, chaque question posée au sombre avenir la sombre question d’Hamlet, ceux de nous que ne pourraient plus séduire les douceurs d’une acariâtre patrie auront un moyen tout simple de retrouver la France de 1830 : c’est d’émigrer en Espagne.


GUSTAVE D’ALAUX.