Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de liberté illimitée qui cherchait naguère la théocratie dans le radicalisme, et qui, pour affermir le principe d’autorité dans les ames, secondait involontairement l’œuvre de ceux qui sapent ce principe dans la rue ? Encore moins. Dans le milieu absolutiste où ses griefs l’avaient parqué jusqu’à ces derniers temps, le clergé espagnol a pu échapper à cette contagion passagère. Il n’a pas abdiqué un seul instant son ascendant modérateur, et, pour payer son tribut aux illusions dont parle, triste symbole d’une époque où tout, même ce qui était fait pour ne jamais faiblir, aura eu son heure de faiblesse, il n’irait pas choisir le moment où l’expérience les condamne, où d’éloquens et courageux regrets viennent les rétracter.

On peut mieux s’expliquer maintenant l’impuissance des tentatives républicaines, exaltées et montemolinistes. Les divers intérêts qu’elles avaient convoqués autour de leur drapeau n’ont pas répondu à ce triple appel. Les uns n’existaient pas, les autres étaient ou neutralisés ou satisfaits. À d’autres époques, l’insurrection eût pu trouver un dernier point d’appui dans ces myriades d’employés et d’officiers que chaque flot politique apportait et que le flot suivant remportait dans l’opposition mais le temps a peu à peu réduit ce personnel parasite, et six ans de calme, répit depuis long-temps inconnu chez nos voisins, ne lui ont pas permis de combler les vides que la mort, la vieillesse, la reprise même des affaires, qui a ouvert aux ambitions individuelles de meilleures issues, avaient opérés dans ses rangs. La sagesse du gouvernement a fait le reste. Au risque d’un élargissement passager des cadres de l’armée et de l’administration, il a reconnu une bonne partie des droits qu’avaient créés les précédentes fluctuations politiques. C’est après tout de la bonne économie financière. Il n’y a pas de gouvernement si cher qui ne coûte encore moins cher qu’une insurrection.

D’autres causes sont venues favoriser le triomphe du gouvernement. Les capitaux, puissance énorme, quoi qu’on dise, et que leur abstention forcée rendait indifférens à la politique, ont subitement afflué en Espagne. Il y a deux ou trois ans, des centaines de sociétés anonymes, dont la brusque irruption rappelait presque la fièvre industrielle qui s’empara de nous en d’autres temps, naissaient sur tous les points du territoire à l’ombre du régime réparateur qu’apportait le parti modéré. Beaucoup ont disparu, mais après avoir imprimé à l’activité nationale une impulsion très rassurante pour l’ordre ; d’autres ont réussi et créé des intérêts nombreux qui sont pour l’ordre autant d’auxiliaires directs[1]. Les mesures prises par le gouvernement pour faciliter la

  1. Comme symptôme de la reprise des affaires ou de l’accroissement de bien-être qui en est le signe, nous prendrons le revenu des tabacs. Le chiffre de ce revenu, qui est en Espagne un thermomètre aussi infaillible que celui de l’octroi chez nous, s’est graduellement accru, depuis 1843, époque où le parti modéré a repris le pouvoir, de 57 pour 100.