Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/486

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

luxe, la plupart des couvens remettaient la dîme aux familles peu aisées, accordaient aux fermiers des baux avantageux, et trouvaient encore dans leurs revenus, volontairement réduits de moitié et souvent des deux tiers, le moyen de faire d’innombrables aumônes. Le clergé séculier n’était pas moins charitable. Je prouverais aisément que l’église espagnole donnait annuellement aux classes nécessiteuses, tant en secours directs que sous forme de revenus abandonnés, une valeur de plus de quarante millions de francs, répartie sur moins d’un million de têtes. Quel programme républicain réaliserait aussi largement le droit à l’assistance ? il n’est pas jusqu’au problème de l’instruction gratuite à tous les degrés dont le clergé espagnol n’ait donné une large solution, bien autrement large que celle que promettent aujourd’hui les alchimistes de la république rouge : les étudians pauvres des principales universités étaient nourris par les couvens. L’économiste et le philosophe eussent trouvé là beaucoup à redire ; mais ce n’est pas la question. Lorsque le radicalisme espagnol prend texte des tendances religieuses du parti modéré pour mettre en avant le fantôme de la domination monastique, il soulève contre lui-même les souvenirs et les appétits populaires qu’il entreprend d’ameuter. Quel principe lui restait-il donc ici à invoquer contre le clergé ? Un seul, la liberté de conscience, mot parfaitement vide dans un pays exclusivement catholique. L’Espagne ne peut guère s’éprendre d’un bien dont elle ne trouverait l’emploi. Où la foi suffit, qu’importe la liberté ?

Le triple mot d’ordre de notre première révolution ne peut donc pas réveiller en Espagne le moindre écho dans les masses. L’autel est ici hors de cause. Le trône et l’aristocratie y représentent bien moins la résistance que le mouvement. Le peuple, enfin, s’y rattache par ses mœurs à l’aristocratie, par son intérêt au trône, par ses regrets et ses croyances au clergé.

Le mot d’ordre de 1848 devait être moins compris encore chez nos voisins. Parlerons-nous du droit au travail ? De toutes les fantaisies que se permet le béotisme imitateur des radicaux espagnols, voilà à coup sûr la plus excentrique. Cette théorie malsaine a besoin, pour éclore, de l’humide serre-chaude des manufactures, et l’Espagne, à d’insignifiantes exceptions près, n’a pas besoin d’être industrielle. La révolution économique opérée par les machines n’a donc pas eut en Espagne de contre-coup sensible. Les bras y font beaucoup plus défaut au travail que le travail aux bras. Quant aux deux autres promesses du socialisme, elles sont, on l’a vu, une apologie implicite des couvens qui les réalisaient, et par suite une cause d’impopularité pour le parti radical, principal moteur de la suppression des couvens. En prônant le droit à l’assistance et l’instruction gratuite, il dresse son propre acte d’accusation.