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REVUE DES DEUX MONDES.

UN SAVANT.

Oui dà… et plusieurs autres.

SIMPLET.

Il suffit de celle-là pour savoir ce qui est bien et ce qui est mal.

UN SAVANT.

Celle-là n’est pas la seule.

SIMPLET.

C’est la seule, parce que c’est la vraie. Il n’y a pas deux vraies religions, puisqu’il n’y a qu’un Dieu.

UN SAVANT.

Le mystère est plus compliqué que cela, mon ami. L’homme est bien multiple, bien divers. Il ne faudrait pas s’étonner que deux puissances y eussent travaillé.

SIMPLET.

Je vous vois venir. J’ai dit tout cela.

UN SAVANT.

Vous avez donc lu les philosophes ?

SIMPLET.

Par exemple ! À l’article de la morale, les difficultés me sont venues toutes seules et en foule. J’aurais composé un livre pour prouver que je devais nécessairement suivre toutes mes passions. Oui, mais que me restait-il à dire contre les voleurs, les gueux de toute espèce qui veulent jouir sans travailler ?…

UN SAVANT.

Cependant…

SIMPLET.

Laissez donc ! vous parlez à un ancien socialiste. Prouvez-moi que vous devez avoir un manteau, et moi pas. Vous direz : J’ai acheté mon manteau ; je vous dirai : J’ai froid. Je vous tuerai pour avoir votre manteau, un autre me tuera pour me le prendre, cet autre à son tour sera tué. On se tuera tant que durera le manteau. Tâchez d’en finir sans la religion.

UN SAVANT.

Il y a des argumens, mon ami ; il y en a de très forts. Le mystère de la société a reçu une autre solution.

SIMPLET.

Comme le mystère de la soif. Il y a deux solutions : la fontaine et le cabaret. Quand j’ai bu à la fontaine, je suis désaltéré ; quand j’ai bu au cabaret, j’ai encore soif, et, de plus, je suis ivre. Par la solution chrétienne, je suis honnête homme ; par les autres, j’étais ivrogne, émeutier, bête féroce. La solution chrétienne me donne le repos intérieur et me promet le ciel ; les autres solutions m’ont valu un œil crevé, un bras cassé, les rhumatismes gagnés dans cette prison. Je ne dis rien des accidens qui menacent mon cou. Je n’y songe plus depuis que mes remords se sont changés en repentir.

UN SAVANT.

Celui qui vous a catéchisé est un habile homme.

SIMPLET.

J’avais froid, il m’a donné la moitié de ses vêtemens. Voilà sa malice.

(Entre le père Alexis en costume de geôlier.)