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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE.

LE MINISTRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE.

Si nous n’acceptons pas ce moyen, la réaction nous déborde, l’esprit humain fait un pas en arrière.

LE CONSUL.

Mais ce moyen est odieux.

LE MINISTRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE.

Ce qui serait odieux, c’est que la révolution fût livrée pieds et poings liés aux Cosaques de l’extérieur et de l’intérieur.

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

Tes gardes nationaux mobiles, tu ne les appelles pas des Cosaques !

LE MINISTRE DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE.

Non ; je n’ai pas l’habitude de blasphémer.

LE CONSUL.

Citoyen ministre de l’intérieur, tes services démocratiques t’ont naturalisé, et tu es devenu l’un de nos plus chers concitoyens ; mais tu n’es pas né parmi nous, et ce n’est pas t’injurier de dire que tu ne connais pas complètement nos mœurs. Ce que tu proposes, c’est tout simplement une guerre civile ajoutée à celle que nous subissons déjà. Ce n’est plus un certain nombre de provinces insurgées que le gouvernement central devra contenir, ce sera le pays tout entier. La garde nationale mobile, en supposant qu’elle ne se débande point, que ses chefs ne trahissent point, sera écharpée en quelques jours.

LE VENGEUR.

Tu t’abuses. Le pays est mûr pour toutes les dominations, pour celle-là comme pour une autre. Il serait facile de nous renverser, il nous est facile de nous maintenir. Terrifions seulement nos ennemis et rassurons nos complices. Maintenant que voici les parts faites, ceux qui sont pourvus ne demandent qu’à conserver. Ils accepteront tout maître qu’ils croiront décidé à reconnaître les faits accomplis, dût-il nous envoyer à la guillotine, nous, leurs libérateurs ; mais, s’ils nous voient forts, ils auront toujours plus de confiance en nous. Prévenons le péril ; n’attendons pas un succès signalé de nos ennemis, n’attendons pas l’approche d’une armée étrangère. Soyons terribles, c’est notre salut, c’est notre devoir. Avec nous la liberté tombe. Serrons d’une main plus ferme ce pouvoir qu’on nous ravirait trop aisément, et qui est le dernier boulevard de la liberté. En même temps, pour assurer à la fois toutes nos conquêtes, écrasons les restes trop remuans de l’esprit individuel. Exigeons de tous, des socialistes eux-mêmes, cet esprit de dévouement, de sacrifice, d’abnégation absolue devant l’état, sans lequel nous ne serons ni égaux, ni frères, ni libres. Nous avons changé beaucoup de choses ; il nous en reste à changer une encore, c’est la nature humaine. Ce peuple-ci n’a pas le sentiment de la communauté, aucun peuple ne l’a eu. On ne l’a vu que dans les congrégations chrétiennes. Ce que la superstition a fait, la raison, la vérité, le peuvent faire ; la crainte aussi le peut à défaut de mobiles meilleurs. La superstition est une crainte. Si on nous aime moins qu’on n’a aimé Dieu, on ne craindra pas moins nos baïonnettes qu’on n’a craint l’enfer. Donc, par force ou par amour, nous inculquerons au peuple le sentiment de la communauté. Nous avons mis le pied sur l’espèce humaine, ne le levons pas qu’elle n’ait pris le pli. Au nom de la patrie, au nom