Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/443

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
437
LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE.

LE SECRÉTAIRE.

Permets-moi de te dire que tu t’en aperçois un peu tard.

LE CONSUL.

Hélas !… Mais tu as raison, et ce que je peux faire de mieux est de ne point perdre mon temps à me plaindre. Que dit-on dans les quartiers riches ?

LE SECRÉTAIRE.

On y meurt de faim en silence. On y souffre toutes les avanies avec une résignation inconcevable et stupide. Le désarmement est à peu près terminé. Selon ton désir, j’ai tâché qu’il ne fût pas très rigoureux.

LE CONSUL.

Les bourgeois ne parlent point de moi ?

LE SECRÉTAIRE.

Les plus intelligens ne te sont pas hostiles. Si nous pouvons gagner du temps, nous parviendrons à les travailler en ta faveur. (Il rit.) Je ne puis m’empêcher de rire quand je pense que ces braves gens, qui ont lâché le dernier roi et successivement tous les modérés, finiront par descendre dans la rue pour te défendre.

LE CONSUL.

Je suis la dernière espérance de l’ordre.

LE SECRÉTAIRE.

Ma foi, à mon avis, ni l’ordre ni la liberté n’ont plus d’espérance depuis long-temps. Tout est flambé. Le gouvernement est impossible avec des imbéciles qui ne savent ce qu’ils veulent, et des coquins qui ne veulent que le mal. Si les bourgeois te soutiennent un jour, ils t’abandonneront le lendemain, comme ils ont abandonné les autres. Et puis, même soutenu d’eux et eux d’accord, que feras-tu ? où iras-tu ? La voie est bouchée de toutes parts. On trouve partout à faire des choses à la fois indispensables et impossibles. Ne sens-tu pas l’absence d’un outil universel, d’une force supérieure et indéfinie, sans quoi tout manque ? Quel est cet outil, quelle est cette force qui rend les peuples gouvernables ? Nous ne pouvons nous en passer, et nous ne savons où la prendre ; nous ne savons pas même très bien quelle elle est.

LE CONSUL.

Il se pourrait que ce fût la religion.

LE SECRÉTAIRE.

Peut-être. En tout cas, si ce n’est pas la religion, c’est la vie.

LE CONSUL.

Valentin de Lavaur est plus heureux que moi. La discipline règne dans son camp, et le peuple qu’il a insurgé contre nous le bénit.

LE SECRÉTAIRE.

C’est là qu’est le dernier espoir de l’ordre ; mais cet espoir sera bientôt écrasé par nous-mêmes. Il ne trouvera pas, au siècle où nous sommes, assez de chrétiens pour résister aux légions de démons qui se lèvent de toutes parts.

LE CONSUL.

Cette malheureuse société est vouée à la destruction.