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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE.

à l’église, où nous vous laisserons. Va chercher le petit, que je l’embrasse encore une fois.

MARGUERITE.

Cher ami !… (Elle pleure.)

BENOIT.

Je n’ai pas déjà le cœur si gai ; ne m’attendris point. Nos hommes m’ont pris pour chef, je dois leur donner l’exemple, ici comme au feu. (Marguerite l’embrasse et sanglote.) Ma pauvre femme, regarde sur ma poitrine, là où tu poses ton front, cette croix que tu as brodée ; c’est la croix du Rédempteur. Il était innocent, il a donné sa vie pour sauver des coupables. Nous ne sommes pas innocens, nous, et nous n’exposons nos jours que pour nous sauver nous-mêmes.

MARGUERITE.

Cette guerre ne finira donc pas ? Tu as été blessé déjà, tu as rempli ton devoir.

BENOIT.

J’aurai rempli mon devoir quand je serai dans l’impossibilité de combattre, ou quand le pays sera délivré. Veux-tu que je laisse les autres se sacrifier pour moi ? Tous ils nous défendent comme je les défends. Si nous ne prenions pas les armes, nos villages seraient envahis, nos églises dépouillées, nos prêtres massacrés. Celui qui souffrirait cela serait-il un chrétien et un homme ?

MARGUERITE.

Oui, Benoit, tu as raison ; mais je suis bien malheureuse.

BENOIT.

Tu le deviendrais davantage, si, n’écoutant que ta douleur, tu murmurais trop contre les épreuves que Dieu nous envoie. Assure-toi sa miséricorde par ta résignation. Fais comme le petit lorsqu’il nous voit fâchés. Il s’avance tout doucement et nous baise la main. Quelle colère pourrait tenir contre sa soumission ?

MARGUERITE.

Pauvre petit ! reverra-t-il son père ?

BENOIT.

Fais-lui connaître son père qui est au ciel ; celui-là ne lui manquera jamais, et lui tiendra compte de mon sacrifice. Dès que l’enfant pourra comprendre, tu lui diras : Petit, ton père est mort en brave homme pour son Dieu. Ne lui dis que cela ; le reste n’en vaut pas la peine.

MARGUERITE.

Hélas ! tu ne seras plus là !

BENOIT.

Mais il n’est pas dit que je mourrai. À la guerre comme ailleurs Dieu nous protège, et il n’y a jamais que sa très sainte volonté qui s’accomplit. Pense à l’éternité, ma Marguerite, où nous serons pour jamais réunis loin des misères de ce bas-monde. Sans doute, tu ne croyais pas avoir épousé un soldat, et c’est dur de penser qu’un paisible laboureur est exposé à périr d’un coup de sabre ou d’un boulet ; mais quoi ! pour n’être pas soldat, en étais-je moins mortel ? Quand nous nous sommes mariés, mes jours étaient comptés comme aujourd’hui. Nous savions que les draps bénis du jour des noces nous serviraient un jour de linceuls. Courage, courage, espérance et courage !