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REVUE DES DEUX MONDES.

fassiez des chansons, des romans, de la musique, des tableaux. Vous vous occupiez de tout cela pour les oisifs. Il n’y a plus d’oisifs, vous n’êtes plus bons à rien. Le peuple est sérieux et n’a nul besoin de vos petits talens. Quant à la reconnaissance, la république n’en doit à personne, et tout le monde lui doit respect, dévouement et amour. Vous causez volontiers, vous autres ; ne perdez pas de vue ce principe dans vos entretiens. La république, comme une bonne mère, va vous procurer du travail. Ne déchirez pas la main qui vous nourrit. (Élevant la voix et s’adressant à la foule.) Citoyens, la république sociale vous donne à la fois tout ce que vous pouvez désirer : du travail et du pain, un pain bien gagné par un travail utile. (Montrant l’église.) Voyez ce monument, foyer des superstitions que l’ordre nouveau vient abolir, et que plusieurs d’entre vous avaient dès long-temps ébranlées : la république vous en fait don. Un décret du consul vous le livre. Il est à vous. Détruisez-le sans respect pour l’art qui s’est efforcé de l’embellir. L’art n’est digne de respect qu’autant qu’il se respecte lui-même. En se consacrant à la superstition, il a mérité le sort de la superstition. — Si, chose impossible, une contre-révolution éclatait, que du moins elle ne retrouve pas ces bastilles de l’intelligence, d’où les préjugés, la misère et l’esclavage se sont répandus sur le monde. Ces édifices odieux vont disparaître du sol libre qu’ils ont trop long-temps souillé. Ceux même que l’on réserve temporairement pour suppléer à l’insuffisance des prisons ne resteront pas long-temps debout. Mettez-vous donc à l’œuvre. Le service que vous rendez à l’humanité sera votre première récompense, la plus douce à vos ames socialistes. — La république sait que l’ouvrier doit vivre de son travail. C’est à quoi le gouvernement a pourvu en vous abandonnant cette église. Les matériaux seront vendus par vous à votre profit. Pierre, fer, bois, tableaux, et ce que vous pourrez trouver d’objets précieux dans les sépultures, tout vous appartient. Vous vous partagerez ce bénéfice au moyen d’une répartition fraternelle. La république ne se réserve que le bronze et le plomb pour en fondre des canons et des balles. Vive la république ! (Profond silence.) Ce silence m’étonne. Ai-je affaire à des ingrats ou à des royalistes, ou à des jésuites ?

UN DÉLÉGUÉ.

C’est trop se moquer de nous.

UN AUTRE DÉLÉGUÉ.

Nous demandons du pain, on nous donne des pierres. (Murmures.)

L’AGENT.

Le travail changera ces pierres en pain.

UN DÉLÉGUÉ.

Si nous en faisons du pain, on nous le volera. La république est gouvernée par des voleurs.

UN AUTRE DÉLÉGUÉ.

Nous voulons bien démolir l’église, mais nous voulons être payés.

L’AGENT.

Et avec quoi voulez-vous qu’on vous paie ? Le trésor est vide.

UN DÉLÉGUÉ.

C’est la faute de ceux qui en tiennent la clé.

CRIS DANS LA FOULE.

À bas le gouvernement ! à bas les voleurs !