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LES EAUX DE SPA.

ou tomber, la Belgique s’est attachée soudain à son roi avec une véhémence qui tient du fanatisme. Elle le salue quand il passe avec des transports incroyables. Elle crie à son tour : Vive le roi ! avec le sentiment de piété filiale que nous inspirait, il y a cent ans, la présence de nos vieux rois français. La Belgique en ce moment a soif de voir son roi et sa reine ; plus la royauté est insultée au loin, plus elle est écrasée et chargée d’outrages, et plus la Belgique l’entoure d’hommages et de respects. Chaque jour, le roi et la reine sont invités dans quelqu’une de leurs bonnes villes, et, pour les mieux recevoir, c’est à qui rivalisera de magnificence, d’imagination, d’éclat royal. Quand je suis arrivé en Belgique, les fêtes de Liége venaient à peine de finir ; elles avaient duré quinze jours. Les fêtes commençaient à Malines ; elles ont duré huit jours. La ville de Gand annonce aujourd’hui une suite de processions, de triomphes et de concerts qui dureront tout un mois. — Tout un mois, est-ce possible ? — C’est impossible, mais c’est vrai ; mais j’ai vu, de mes yeux vu, les transports de cette nation occupée à glorifier tous ses grands hommes des temps passés, les rois, les reines, les empereurs, les princes de l’église, les maîtres de la science, les peintres, les sculpteurs, les poètes, tout le moyen-âge héroïque, savant, guerrier, religieux, qui se promène en grand appareil dans ces villes au bruit des cloches, des canons, des trompettes pacifiques, entre deux haies vives de spectateurs qui battent des mains, qui pleurent de joie à voir ressusciter ainsi les pères de leurs pères et les aïeux de leurs aïeux. Tant qu’il peut remonter ces vieux âges que nous foulons aux pieds, nous autres, le double peuple de la Belgique les remonte en effet en chantant les anciens cantiques et les anciens poèmes de la langue d’autrefois. Voilà ce qui peut s’appeler un miracle, un vrai miracle de l’ordre, de la paix, du travail, des bons instincts d’une nation fière d’obéir à sa reconnaissance pour le passé, à ses espérances pour l’avenir. Ces fêtes de la ville de Malines, auxquelles les magistratures, les gloires et les arts du peuple belge étaient conviés, ont laissé dans l’esprit des témoins oculaires de cet enthousiasme national un profond sentiment d’estime pour ce peuple heureux qui a su se défendre contre tous les entraînemens de tant de voisinages redoutables, un profond sentiment de tristesse pour nous-mêmes, pour nous Français, qui, sur l’ordre des hommes les plus ignorans et les plus absurdes qui aient jamais affligé et régenté une grande nation, avons rayé soudain de nos monumens et de nos établissemens publics le nom de nos grands rois, même le nom de nos vieux poètes. Quoi de plus vrai ? N’avons-nous pas arraché de son piédestal la statue du duc d’Orléans à peine mort ? Que dis-je ? Dijon n’a pas osé inaugurer la statue du jésuite saint Bernard ; Chinon a effacé de l’un de ses quais le nom du jésuite Rabelais, pendant que Bruxelles élevait une statue à Godefroy de Bouillon et bâtissait autour