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sensés, d’entrer en fureur contre ces colporteurs des vanités nationales… Que nous avions tort de nous fâcher ainsi ! Ces vantardises étaient autant de louanges au génie, à la fortune, au courage de la France. En ce moment, toute dispute de prééminence a cessé ; nous sommes les maîtres partout et sans conteste. C’est ainsi, j’imagine, que le Prince Noir, la serviette à la main, voulut servir le roi Jean, son captif, le soir de la journée de Poitiers.

Après le bain, — et le bain est une grande fête, la fête romaine, la fête grecque, la joie immense de l’été, quand les pampres en festons recouvraient de leurs voiles jaunissans la fontaine de Tibur, — une grande joie aussi pour nous autres qui faisons des livres, c’est de nous gorger de livres nouveaux. À la fin donc, et moi aussi je vais avoir mes amuseurs, mes Triboulets, ma princesse Schérazade, mes fées et mes génies ! Je vais savoir ce que c’est enfin que d’avoir à soi beaucoup de temps et autour de soi des fictions sans nombre, pendant que les heures légères touchent et peine notre front épanoui. Allons, esclaves, amusez votre maître ! Jetez à ses pieds vos fleurs et vos couronnes ! Offrez-lui humblement vos plus rares et vos plus précieux trésors, et peut-être que, s’il est content de vous et de votre œuvre, il daignera vous sourire ! C’est pourtant là la véritable position d’un homme qui lit un livre ; il est le maître absolu du livre qu’il tient à la main ; les plus grands poètes du monde ne sont, en fin de compte, que ses parasites et ses flatteurs.

Certes, personne plus que moi, et j’étais bien désintéressé dans la question, ne s’est élevé contre la contre-façon de nos livres en Belgique ; de toute ma voix et de toutes mes forces, j’ai réclamé contre ce droit d’épave, le seul qui fût resté dans les lois internationales. La contrefaçon est, en effet, non seulement une injustice, mais une cruauté ; elle dépouille d’honnêtes gens de la plus sainte et de la plus respectable des propriétés de ce bas-monde, elle s’adresse la plupart du temps à des hommes assez pauvres, que la moindre secousse politique met tout de suite au niveau des plus pauvres diables qui soient sous le soleil. C’est une honte, la contrefaçon : elle est restée comme un reproche que doit se faire la révolution de juillet, qui pouvait l’abolir et qui ne l’a pas abolie ; mais ceci dit, il faut convenir que c’est un grand plaisir, quand on se rencontre en pleine contre-façon, de faire un peu comme le chien qui porte au cou le dîner de son maître. On prend sa part de cette dépouille. À peine à Spa, on achète pour rien les plus beaux livres de l’imagination contemporaine, et, les poches pleines de ce fruit défendu, on s’en va se cacher dans quelque trou de muraille comme un enfant pillard qui a dévasté le verger du voisin. Que de livres ! En voici plein mon chapeau et plein mes poches ; on les répand