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LES EAUX DE SPA.

pied dans l’empreinte que voici, vous verrez avant un an la bonne nouvelle ! Ces aimables enfantillages, quand ils s’embellissent de la fatigue, du bruit et des tortures d’une révolution, doublent, à mon sens, de charme et de grace. Telle légende vous a trouvé à peine attentif autrefois, qui vous charme et vous captive après tant de bruit et de clameurs. — Comment donc ! vous dites-vous à vous-même, me voilà sous ce beau ciel, dans ce silence heureux, au milieu des cris de joie et des chevauchées légères, assis à l’ombre de ce vieux chêne, sur le bord de cette eau limpide qui murmure doucement à mon oreille charmée sa petite chanson de santé et de plaisir, et à cette heure peut-être nos représentans s’agitent furieux et s’épuisent en mille injures ! Et à cette heure l’abominable politique remplit tant d’ames éperdues, et le journal s’abandonne à ses fureurs sans cesse renaissantes ! Et moi, à peine échappé de la bagarre, me voilà ici, maître de cette fête sans fin de la création calme, animée par des créatures heureuses. Est-ce possible ? et se peut-il en même temps, à si peu de distance, tant de bien-être et tant de douleurs ?

Il faut dire aussi que, si l’enchantement et la nouveauté du paysage s’agrandissent sous la loi implacable des contrastes, l’homme oisif, c’est-à-dire le héros véritable de ce paradis, a pris cette année une forme toute nouvelle. Ce n’est plus le même Anglais égoïste et taciturne, qui va et qui vient brutalement, au hasard, son guide à la main et son chapeau sur la tête : le buveur anglais m’a semblé plus dispos et plus vif que d’habitude ; on voit percer à travers son sang-froid calculé je ne sais quel contentement secret de se savoir si libre et si heureux. Autrefois, l’Anglais en voyage avait l’air de s’écrier à tout bout de champ : — C’est moi le riche ! — Aujourd’hui, il est devenu bon compagnon et bon vivant… Il a appris le grand art de ne pas tirer vanité de son bonheur. Il met une sourdine à sa gloire nationale ; on ne l’entend plus célébrer ses conquêtes, parler de son Waterloo et de lord Wellington, et autres forfanteries qui sentaient la rivalité d’une lieue. Hélas ! la France n’a plus de rivale ; personne ne dispute plus au Français en voyage la première place en voiture, la première place à la table d’hôte. S’il parle, on l’écoute ; s’il est silencieux, on le plaint ; on le traite comme un enfant malade, dont les nerfs sont agacés. C’est à qui, nous présens, dissimulera ses titres, sa prospérité et sa fortune. Que de fois, avant notre glorieuse révolution, j’avais rencontré, dans le cours de mes voyages, des antagonistes inflexibles, acharnés contre la France ! — Vous autres Français, vous n’êtes pas des penseurs, disait l’Allemand. — Vous êtes tous de pauvres diables ! s’écriait l’Américain. — Dix mille Belges viendront toujours à bout de trente mille Français ! S’écriaient les Césars de Bruxelles. Et nous tous, à ces discours in-