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LES EAUX DE SPA.

vain chaque bourgeois de ce beau monde a été frustré dans sa petite fortune, en vain les 45 centimes imposés par le gouvernement provisoire ont fait tache et se sont étendus sur toutes les ressources privées, comme fait la goutte d’huile sur une belle étoffe ; il s’est encore rencontré, bon gré mal gré, un nombre considérable de ces hommes heureux qui ont le droit de ne rien faire, de ne s’inquiéter de rien, de ne rien craindre, et de ne songer à rien dans ce petit cercle de mouvemens très restreints qu’ils se sont tracés à eux-mêmes. C’est une belle race, la race oisive, qui disparaît chaque jour, et qui finira par tenir sa place parmi les animaux antédiluviens dont M. Cuvier avait retrouvé le nom après tant de longues et difficiles conjectures. L’oisiveté, la fortune des dieux ; l’admirable rien à faire, le partage de quelques enfans des hommes ! On comprend donc à la rigueur que de tous les coins de cette Europe en révolution, et malgré la dureté de ces temps difficiles, se soient rencontrés assez de fainéans (le beau mot !) pour peupler la ville de Spa et sa triomphante vallée. — En quelques heures, le chemin de fer vous y mène. Parti ce matin, de grand matin, vous pouvez être arrivé ce soir. Au pied même de la montagne, la vapeur vous dépose, et en moins de deux heures, dans une voiture rapide, vous franchissez, en montant toujours, ces crêtes obéissantes entourées de verdure. Au bout de cette allée de vieux arbres, entre ces collines pittoresques, voici la ville, et tout de suite elle vous sourit, elle vous invite. Entrez, chaque maison vous est ouverte ; ces portes hospitalières ne se ferment guère que l’hiver, quand les hôtes sont partis. Si par malheur les maisons sont remplies, attendez ; on va vous bâtir une villa à l’instant même, un véritable nid rustique, rempli d’air et de soleil. Ce n’est rien à faire, une de ces jolies niches toutes blanches qui sont autant de chefs-d’œuvre de l’activité belge et de la propreté flamande. — À peine installés, vous voilà en plein bien-être, en pleine vie athénienne moins la tribune, Dieu merci ; pour orateur vous avez sous son dôme léger, M. Massard et son orchestre nombreux faisant retentir les monts et la plaine, — un petit bout de plaine à vrai dire, — des symphonies les plus nouvelles. Le concert est partout, à toute heure, tantôt au sommet de ces montagnes disposées pour la promenade, ou bien dans la vallée profonde, et le plus souvent au beau milieu de l’allée de sept heures. L’allée de sept heures, c’est la grande récréation de Spa l’oisive ; les dames y viennent en grande et fraîche toilette. Tant de robes blanches et tant de robes de soie, tant de mantelets et tant de chapeaux neufs, tant de dentelles achetées à Malines et de fleurs achetées à Paris ! les enfans même sont aussi parés que leurs mères. Je vous dis ces choses futiles, parce que le spectacle de ces élégances est devenu une curiosité et un événement pour le Parisien ; le Parisien n’est plus habitué à ces loi-