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Pareil accident est pourtant arrivé cette année à la ville de Bade. Ce qu’on y appelle le Palais de conversation est bel et bien un palais véritable. L’édifice est soutenu par une vaste colonnade, et ressemble en beau à notre chambre des députés. Une immense terrasse, de longues allées latérales, ajoutent à la magnificence de ce monument où se sont abrités un instant chaque année les plus grands noms et les plus beaux visages de l’Europe moderne. En ce lieu, aujourd’hui ouvert à tous les vents du nord, se pressaient la renommée et la gloire, la beauté et l’argent, la poésie et le plaisir des quatre parties du monde. Ces salons décorés par les maîtres parisiens rappelaient la grandeur et l’éclat des salons même des Tuileries ; on eût dit une joûte à armes courtoises entre la France et la Russie, l’Italie et l’Allemagne, la Prusse et l’Angleterre, l’Espagne et les États-Unis, à qui remporterait la palme de l’esprit, de l’élégance, de la richesse. Le son de l’or et les symphonies de l’orchestre se mêlaient au plaisir de la danse dans une harmonie incroyable et dans un cercle sans fin. Ce palais, bâti à grands frais par un homme intelligent et hardi, qui avait placé sur cette carte toute sa fortune, a été envahi en effet par une de ces représentations nationales de 1848-49, qui, semblables à des torrens déchaînés, renversent tout ce qui se rencontre sur leur passage. Les portes du Palais de conversation ont été forcées par ces législateurs de l’émeute ; ce riche salon, rempli de camélias et de roses, a servi de salle des pas perdus à d’énormes députés fort peu rassurés sur la validité de leurs mandats ; cette galerie où resplendissaient les diamans et les perles, où s’agitait en cadence l’éventail jaseur, où retentissait la causerie amoureuse et pleine des séductions les plus charmantes, ô misère ! elle a retenti soudain des hurlemens politiques dont la France elle-même ne voulait plus ! Sur ces beaux fauteuils de velours et d’or où venaient s’asseoir les princes et les reines, la grande formule s’est montrée, et dans un infernal patois allemand, sous les fétides exhalaisons de la bière et du tabac, elle s’est abandonnée, la malheureuse, à toutes ses convoitises inutiles. Heureusement que le créateur et le maître de ce Versailles allemand était mort, et qu’il n’a pas assisté à ces profanations de sa banque ! Heureusement que ces messieurs les législateurs du grand-duché ont fini par vider les lieux, pendant que les politiques les plus habiles et les moins honnêtes s’écriaient : Sauvons la caisse ! Le mot d’ordre de Bilboquet, la fleur des saltimbanques, est devenu le mot d’ordre de plusieurs grands hommes ; maître Bilboquet a fait des petits qui ont singulièrement agrandi le domaine de leur illustre père.

Voilà comment et pourquoi, sans avoir jamais aspiré à tant d’honneur, l’humble ville de Spa a hérité des magnificences, des jeux, des fêtes, des oisivetés, des belles graces de l’Italie et de l’Allemagne. En