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la Forêt Noire ! Comment ! voilà un homme qui ne se contente ni du lac de Constance, ni de la vallée d’Enfer, ni des eaux salutaires de Kinzingen ; il lui faut absolument l’âcre plaisir de la roulette et du trente et quarante ! Ô temps, ô mœurs ! et dans quel siècle vivons-nous !

Bon ! si nous voulions suivre messieurs les déclamateurs dans le labyrinthe épais de leurs déclamations, autant vaudrait compter l’argent perdu cette année sur les bords du Rhin, en Suisse, en Wurtemberg, sur toutes les grandes routes, dans tous les sentiers oubliés par les touristes. Le jeu est un grand crime, qui en doute ? mais une passion irrésistible, qui le nie ? Cette puissance mal définie, cette inhabile, vulgaire, poltronne et niaise autocratie qu’on appelle le parlement de Francfort, a proscrit et défendu les jeux dans toute l’Allemagne, et l’Europe a crié : Vive le parlement de Francfort ! Voyez cependant ce qui est arrivé : aussitôt que le jeu a été proscrit de ces rivages, soudain la disette s’est montrée dans les endroits les mieux habités, le silence et la ruine ont remplacé le bruit et la fortune ; les maisons à peine bâties sont tombées faute de soutien, les routes à peine achevées se sont brisées faute de voyageurs. Le hasard, cette providence de vingt-quatre heures, s’est enfui de ces villages qui n’avaient pas d’autre pêche et d’autre moisson que l’argent que leur jette en passant le joueur favorisé de la fortune. C’est bien vite déclamé : À bas le jeu ! mais par quelle émotion remplacer ce besoin d’excitation qui s’empare de temps à autre des ames les mieux faites et des esprits les plus calmes ? Au reste, les faits parlent plus haut que le jeu même. Ces eaux merveilleuses, ces bains de la Jouvence moderne, ces pétillantes boissons qui portent dans les veines épuisées un nouveau sang, et dans les cerveaux fatigués des idées toutes nouvelles ; ce flot miraculeux, frais comme la glace en été, tiède comme le bain en hiver, ces toutes puissantes panacées que la nature elle-même a distillées dans les réduits les plus secrets des montagnes, — tant que le jeu a régné sur ces bords consacrés au dieu de la médecine, — on ne compte ni les malades accourus à cette source vive, ni les malades sauvés, ni les morts ressuscités, ni les maladies vaincues. La peste même a reculé devant un verre d’eau puisé à la source de Wiesbaden ! Le lépreux de la vallée d’Aoste eût recouvré la fraîcheur et le coloris de la santé dans une baignoire d’Aix-la-Chapelle ! Tout va bien, tout est guéri, tant que le jeu gouverne les retraites sanitaires. Faites que le jeu soit chassé de ces temples de la déesse Hygie ; aussitôt les buveurs s’éloignent, les baigneurs disparaissent, la nymphe de l’eau abandonnée à ses propres charmes rappelle en vain les amoureux de son austère vertu ; rien n’y fait. Vous-même, ô Charlemagne, vous reviendriez dans votre ville d’Aix-la-Chapelle ; le premier cri de vos sujets intéressés serait : Ren-