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L’HISTOIRE DE LA CARICATURE.

sur un banc et vêtu du costume du grand ministre. L’habit traîne à terre, le chapeau descend jusqu’au menton, et le personnage est plongé jusqu’aux épaules dans une botte. Cependant le changement de ministère en amena un dans la politique, et ce fut sous Addington que fut signée, le 27 mars 1802, la paix d’Amiens.

La paix fut d’abord reçue avec joie en Angleterre, d’autant plus qu’elle permit de rappeler l’income-tax. Des milliers d’Anglais, depuis si long-temps condamnés à rester chez eux, firent une espèce d’invasion pacifique dans Paris ; parmi les premiers visiteurs furent Fox, son neveu lord Holland, Erskine, lord Grey, et d’autres grands whigs. Ils furent reçus par Bonaparte avec les plus grands égards. Toutefois on ne paraissait pas avoir en Angleterre une bien vive confiance dans la durée de cette entente cordiale. Gillray publia une caricature intitulée : Le premier Baiser depuis dix ans, ou l’Entrevue de Britannia et du citoyen François. Le citoyen, orné de moustaches et d’une ceinture tricolore, embrasse tendrement une grosse bonne femme qui se laisse faire en rougissant. — Madame, dit-il, permettez-moi de sceller sur vos lèvres divines mon éternel attachement. — Monsieur, répond Britannia, vous êtes un charmant gentleman ; vous m’embrassez si délicatement que je ne puis vous refuser, bien que je sois sûre que vous me tromperez encore. » Dans le fond sont le roi George et Bonaparte, qui se livrent à des démonstrations fort peu pacifiques.

La paix ne pouvait durer long-temps ; elle n’était sincère d’aucun côté. Les ambassadeurs furent rappelés, et le grand duel fut repris. Le sentiment national fut surexcité en Angleterre par la perspective d’une invasion ; c’était le moment du camp de Boulogne. La satire et la caricature prirent leur part de la guerre générale. Gillray, de son côté, continua sa guerre incessante. Dans une de ses caricatures, dont le sujet est tiré de Gulliver, le roi George tient dans sa main Bonaparte en grand uniforme, et l’examine avec une lorgnette. Ailleurs, Bonaparte fait manœuvrer de petits bateaux dans une cuvette, au grand amusement du roi George et de sa cour. Une des plus célèbres est celle qui représentait le festin de Balthazar. Bonaparte, Joséphine et quelques courtisans sont à table, festoyant avec les richesses de l’Angleterre. Sur un plat est la tête du roi George ; sur un autre, un pâté représentant la banque d’Angleterre. Joséphine, d’une corpulence énorme, boit à plein verre ; un des convives avale la Tour de Londres. Le premier consul au moment où il attaque un gâteau représentant le palais de Saint-James, aperçoit sur la muraille les trois mots du festin biblique et recule d’effroi. Derrière lui se tiennent ses sœurs dans un costume plus que léger. Il parait de Bonaparte fut profondément blessé et irrité de cette satire.

Pendant l’empire, Gillray ne s’arrêta point. Une de ses plus spiri-