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et quêtant personnellement des votes. On sait qu’un boucher lui demanda et qu’elle lui accorda un baiser en échange de sa voix. La belle solliciteuse fut naturellement le but d’une innombrable quantité de caricatures, dont plusieurs étaient extrêmement libres, et la représentaient dans toute sorte de situations.

Fox fut nommé, et le prince de Galles donna un grand dîner à cette occasion. Dans le reste du pays, les élections avaient autrement tourné, et Pitt se trouva en possession d’une majorité énorme. Le jeune et hautain ministre était le maître du roi ; mais il avait dans l’héritier présomptif un ennemi déclaré. Le prince ne lui pardonnait pas le mépris mal déguisé avec lequel il l’avait toujours traité, et en même temps la dissipation de ses mœurs le portait beaucoup plus vers Fox que vers Pitt. Il était donc devenu le chef de cette jeunesse dorée, pleine d’esprit, de vices et de dettes, qui reproduisait alors en Angleterre la société française de la régence. Du temps que ses amis étaient au ministère, ils avaient présenté pour lui un projet de dotation de 100,000 livres par an, ou 2,500,000 fr. ; mais le roi en avait fait réduire le chiffre à 50, ce qui jeta le jeune prince plus avant que jamais dans l’opposition et dans la société de Fox. Le grand caricaturiste Gillray le représentait sous les traits de l’enfant prodigue réduit à vivre avec les pourceaux. Dans une autre caricature, intitulée Convoi pour Botany-Bay, on voit le prince débarquant sur les épaules de deux déportés, entre Fox et North ; Burke, souvent attaqué comme catholique déguisé, est en évêque avec la mitre et la crosse et lisant l’office dans le calendrier de la prison de Newgate.

Au mois de novembre 1788, la folie du roi George devint publique, et il fallut constituer la régence. Pitt comprit que l’accession du prince de Galles à l’exercice du pouvoir royal serait le terme de son propre pouvoir et le signal de la rentrée de Fox et des whigs. Dès-lors les rôles furent intervertis : Pitt se déclara le défenseur de la prérogative du parlement, pendant qu’à leur tour les whigs se faisaient les champions de celle du prince. Fox, devenu en cette circonstance ultra-tory et ultra-royaliste, fut accablé sous les sarcasmes de Pitt, et le premier ministre, sûr des dispositions du parlement, fit adopter une série de résolutions qui liaient complètement les mains au nouveau régent. Le prince eut le titre, mais il n’eut que cela. Il n’eut point la faculté de créer des pairs, de donner aucune place viagère ni réversible, et enfin la garde du roi malade fut remise à la reine assistée d’un conseil. Du reste, le bill de régence ne fut pas même mis cette fois à exécution, car, avant qu’il eût été définitivement voté, le roi recouvra la raison. Gillray publia à cette occasion une caricature intitulée : Les funérailles de Mlle  Régence. On y voit la bière précédée par Burke en jésuite lisant l’office des morts, et le deuil est mené par Fox, Sheridan et Mme  Fitzherbert, la maîtresse du prince.