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elle voulait décidément renverser le gouvernement provisoire et y porter les hommes qui s’intronisèrent à l’Hôtel-de-Ville le 15 mai. À quoi tint le salut de la France ! Prévenu, le matin, du plan des conjurés, M. de Lamartine dit à M. Ledru-Rollin : « Ministre de l’intérieur, vous avez le droit de faire battre le rappel ; si par hasard il y a une garde nationale dans Paris, nous sommes sauvés. » Dans ce moment, grace à la révolution de février et au gouvernement provisoire, qui avait désorganisé la garde nationale et armé les clubs, « la garde nationale, suivant le témoignage de M. de Lamartine, était un problème. » Cependant, grace au général Changarnier, qui par hasard alla ce jour-là au ministère des affaires étrangères et à l’Hôtel-de-Ville, grace à la garde nationale, qui par hasard existait encore, grace donc, en un mot, au hasard, le gouvernement provisoire, Paris et la France furent sauvés ; le mouvement du club Blanqui, suivant l’expression de M. Ledru-Rollin, fut noyé dans la garde nationale, et l’on put arriver à cet autre hasard qui déjoua le coup de main du 15 mai. Nous ne disons rien encore de ce qui se passait dans ce temps-là au sein même du gouvernement provisoire. Le chef-d’œuvre de l’habileté, le comble du bonheur, furent d’y ajourner le déchirement jusqu’à la réunion de l’assemblée. Là, raconte M. Arago, « quand la querelle devenait plus vive, je disais : « Appelez vos adhérens, je ferai battre le rappel, et nous déciderons la question à coups de fusil. » « Des coups de fusil ! nous disait-on alors assez facilement. — Eh bien ! soit, des coups de fusil, répondais-je. » Là encore, le membre le plus influent de la minorité, M. Ledru-Rollin, redoutant lui-même le mouvement qu’il favorisait, croyait sauver son honneur en disant que, s’il était entraîné trop loin, il lui resterait assez de temps pour se brûler la cervelle. Là enfin, M. Garnier-Pagès, un des hommes les plus honnêtes que ces événemens aient portés au pouvoir, se consolait et se justifiait en disant : « Ainsi vont les choses en temps de révolution ! » M. de Lamartine a résumé en une éclatante image tout son rôle au pouvoir : il a conspiré avec les factions et avec leurs chefs, comme le paratonnerre conspire avec la foudre ; il faut ajouter seulement que la foudre, c’était lui-même qui l’avait forgée. Crevez la métaphore, allez au fait : quel beau couronnement d’une haute ambition, quel noble jeu pour un grand génie, quelle gloire pour un homme d’état d’employer toutes ses facultés à séduire, caresser, amuser des hommes tels que Cabet, Barbès, Caussidière, Sobrier, à en venir jusqu’à offrir à Blanqui des postes diplomatiques[1] ! Quelle joie intérieure et quel

  1. « Il (Lamartine) lui’demanda s’il consentirait à servir une république selon ses vues dedans ou dehors… Blanqui ne parut pas éloigné de l’idée de servir au dehors un gouvernement dont il honorerait les ministres et dont il partagerait les vues. » Histoire de la Révolution de 1848, t. II, p. 251.