Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui en parla aux Tuileries ne fut point M. Émile de Girardin. Lorsque M. de Girardin arriva, il y avait une demi-heure que cette concession extrême avait été demandée par un journaliste de cour et de conscience, qui se croyait autorisé par les hommes du National à présenter l’abdication comme la dernière limite de leurs exigences. Vainement des hommes d’une intrépidité d’esprit et de cœur impitoyable, le maréchal Bugeaud, à ce que raconte M. de Lamartine et, au dernier moment, M. Piscatory, s’efforcèrent-ils d’arrêter le roi. Louis-Philippe crut que son abdication avertirait et rallierait la garde nationale autour de son petit-fils. Pour défendre sa couronne contre la désaffection apparente de la garde nationale, il refusa d’encourir la responsabilité du sang versé : il abdiqua.

On assure que, même après les conséquences, alors imprévues pour lui, de cet acte solennel, Louis-Philippe, dans l’exil, n’a jamais regretté, ni pour l’honneur de son nom ni pour le destin de sa famille, d’avoir renoncé à une répression sanglante. Jusqu’à la dernière heure le succès était possible, certain ; Louis-Philippe n’en doute pas. On rapporte seulement que le vieux roi dit, en parlant de ceux qui lui conseillaient la vigueur : « Le 15 mai leur donne raison, mais les journées de juin me donnent raison à moi-même ; il n’y a que les gouvernemens anonymes qui puissent faire ces choses-là » Si ce mot a été réellement prononcé, on ne saurait le reprocher au roi Louis-Philippe ; mais il est l’expression la puis éclatante du manque de foi qui a énervé la société et le pouvoir dans les journées de février. Lorsqu’un gouvernement ne croit tenir ses droits que de la volonté d’une société, il n’est pas surprenant qu’il n’ose se servir de ceux qu’il se sent refusés par le sentiment actuel de cette société. Telle a été la situation du roi Louis-Philippe. L’opinion publique affolée lui a fait défaut ; il ne s’est pas senti assez fort pour assurer le salut public en faisant violence à la démence passagère de l’opinion. Il a craint que la société ne lui pardonnât point, l’initiative redoutable que commandent les nécessités terribles. Cependant le pouvoir et la société doivent être unis l’un à l’autre par les liens d’une foi supérieure. Il est des cas où il faut que le pouvoir sauve la société, ou se sacrifie pour elle malgré elle-même ; mais, pour que le pouvoir ait foi dans son devoir, il faut qu’il ait foi dans son droit. Quant aux sociétés qui méconnaissent les droits du pouvoir, elles regrettent long-temps, comme la France depuis février, d’avoir trahi le pouvoir tombé, et elles paient la reconstruction du pouvoir nouveau de leur liberté de leur richesse et de leur sang.



III

J’ai montré comment le gouvernement était tombé, non sous la force