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remonter la rue Saint-Martin pour aller rejoindre sur le boulevard la colonne Bedeau. Les troupes partirent au point du jour. Le général Sébastiani fit son mouvement et franchit sans difficulté les obstacles ? Le général Bedeau s’arrêta devant la barricade de la porte Saint-Denis : dominé par l’esprit de défiance et de retenue qui régnait depuis trois jours dans les hautes sphères du pouvoir, il hésita à emporter la barricade de vive force. Il écouta les réclamations, les prières de quelques personnes qui s’interposèrent, sous prétexte d’éviter l’effusion du sang. Le général, trompé par ces officieux négociateurs de l’émeute, consentit à retarder l’attaque et demanda de nouveaux ordres. Je tiens de l’un des hommes qui obsédèrent alors le général Bedeau (c’était un journaliste), et qui avait lui-même visité la barricade avant l’arrivée des troupes, que cet obstacle abritait une faible poignée d’émeutiers et ne pouvait opposer de résistance sérieuse ; mais, pendant le délai gagné par ces pourparlers, des gardes nationaux arrivèrent : la population qui s’éveillait s’aggloméra peu à peu, entrant, pressant, submergeant les soldats. Enfin, lorsque le général Bedeau reçut, au bout de deux heures, l’ordre de se replier sur la place de la Concorde, des soldats furent désarmés, des caissons d’artillerie pillés, et nous eûmes, sur le boulevard des Capucines, la douleur inouie de voir des compagnies françaises défiler la crosse en l’air, comme la garnison d’une place qui a subi une capitulation honteuse, et que l’ennemi outrage encore dans sa défaite.

Je ne fais point un récit : je ne raconterai pas les scènes intérieures au milieu desquelles le roi abdiqua. M. de Saint-Priest les a d’ailleurs reproduites, dans ce recueil même, en des pages émouvantes il a péremptoirement réfuté les insinuations calomnieuses qui ont imputé cet acte à un plan prémédité autour du roi. Des personnes qui vivaient auprès de Louis-Philippe m’ont dit qu’il avait quelquefois parlé d’abdiquer dans ces dernières années ; mais c’était comme une pensée vague où il se réfugiait quand il était trop lassé des animosités qui s’acharnaient à sa personne et des méprises de l’opinion publique. J’ai entendu M. Barrot, prévoyant que la lutte des partis pourrait amener des solutions extrêmes, avait voulu attirer l’attention de M. Thiers sur l’éventualité d’une régence ; mais M. Thiers repoussa cette prévision comme chimérique, et ne voulut pas admettre l’idée que le roi pût ne point finir ses jours sur le trône. L’insinuation du livre de M. de Lamartine, qui représente M. Thiers comme tournant ses pensées vers une régence de Mme la duchesse d’Orléans, est absolument calomnieuse. L’abdication jaillit donc de la circonstance ; elle fut, après la retraite du ministère Guizot, après les ministères Thiers et Barrot, le prochain degré ou devaient monter la crue et le débordement révolutionnaires. La première personne