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contre le banquet. Les révolutionnaires de profession furent moins révolutionnaires que M. de Lamartine. M. de Lamartine ne put pas aller au banquet, parce que les républicains eux-mêmes décidèrent qu’il n’aurait pas lieu.

L’opposition céda donc : on sait qu’elle masqua sa retraite en présentant une demande de mise en accusation contre le ministère. Au moment où cette demande fut déposée, M. Dufaure, descendant de sa place, passa devant le banc des ministres, et leur dit avec un accent énergique : « Si vous aviez laissé faire le banquet, c’est alors que vous auriez mérité d’être mis en accusation. » Mais la retraite de l’opposition fit commettre au gouvernement une nouvelle faute, une de celles qui ont eu la plus funeste influence, et qui, jusqu’à ce jour, ne paraît pas avoir été connue du public.

Ce fut une joie bien grande aux Tuileries, dans la nuit du lundi au mardi, lorsqu’on apprit que le banquet n’aurait point lieu. La reine et les princesses, qui avaient vu avec angoisses les préludes de l’orage qui se levait sur la monarchie, respirèrent comme délivrées d’un souci mortel. Le roi, dont le caractère bienveillant et pacifique répugnait aux moyens violens, crut que la plus chaude alerte était passée, et que la crise s’apaiserait maintenant d’elle-même. Craignant que le déploiement des forces militaires projeté pour le lendemain n’entretînt l’irritation des esprits, et d’accord en cela avec le ministre de l’intérieur et le commandant de la garde nationale, il contremanda les ordres de la matinée ; il fut résolu que la garde nationale ne serait point convoquée et que les troupes resteraient dans les casernes. Ces mesures furent prises assez avant dans la nuit. Les autres membres du cabinet n’en furent point prévenus ; le président du conseil, M. Guizot., n’en sut rien. Ce contre-ordre jeta dès le premier jour dans les opérations militaires le décousu et le désarroi qui paralysèrent jusqu’à la catastrophe la défense de la société et de la monarchie. On n’en eut pas les avantages qu’on s’en promettait. La population ignora les ménagemens qu’on avait voulu avoir pour sa susceptibilité. Dès la matinée, des bandes de perturbateurs ayant fait des manifestations menaçantes et étant allé briser les vitres des fenêtres sous le péristyle de la chambre des députés, on fut obligé de mettre des troupes sur pied ; quant à la garde nationale, ne se voyant pas convoquée dès la première collision, elle ouvrit l’oreille aux ennemis du gouvernement, qui lui disaient qu’on se défiait d’elle, et, se figurant être suspecte, elle fut plus près de devenir hostile.

La journée du mardi fut une journée d’attente, d’observation, de morne anxiété. Les ateliers chômèrent. Depuis le matin, les boulevards charrièrent un fleuve d’hommes qui ignoraient que l’opposition eût renoncé au banquet, et descendaient dans la ville avec une sombre