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avait été créé religieux, comme l’air a été créé transparent. » J’aime mieux rire.

J’écarte ce ridicule prétexte d’une révolution : la séparation de l’église et de l’état, dont M. de Lamartine ne paraît pas d’ailleurs s’être fort inquiété le lendemain de février. On comprendrait plutôt l’insurrection au nom des droits politiques des masses, si l’élévation du peuple eût rencontré dans le régime de 1830 des obstacles infranchissables. Or, je défie M. de Lamartine de porter une telle accusation contre les institutions qui gouvernaient la France avant la révolution de février. Ces institutions étaient un mécanisme élastique qui à la fois provoquait et contenait tous les progrès. Elles avaient été construites pour seconder, suivant les expressions de M. de Lamartine, l’avénement progressif, inoffensif et régulier des masses à l’égalité relative des lumières et du bien-être et aux droits politiques. Elles réussissaient, et c’est M. de Lamartine lui-même qui le proclame involontairement toutes les fois qu’il a besoin de louer l’intelligence et la moralité du peuple ; en voici un éclatant aveu : « La masse de la population laborieuse et domiciliée à Paris avait fait en lumières, en civilisation véritable et en vertu pratique, d’immenses progrès depuis cinquante ans. L’égalité l’avait ennoblie, l’industrie l’avait enrichie. Le contact avec les différentes classes qu’on appelait autrefois la bourgeoisie avait poli et adouci ses pensées, sa langue et ses mœurs. L’instruction généralisée, l’économie devenue une institution par les caisses d’épargne, les livres multipliés, les journaux, les associations fraternelles ou religieuses, l’aisance, qui donne plus de loisir, le loisir, qui permet la réflexion, l’avaient heureusement transformée. La communauté d’intérêts bien compris entre ce peuple et la bourgeoisie, avec laquelle il se confondait, avait mis en commun même les idées. ». Contre un état social et politique qui verse sur un peuple de pareils bienfaits, c’est crime ou folie de faire une révolution ; car faire une révolution, c’est tuer cette industrie qui enrichissait le peuple et lui procurait l’aisance, le loisir, l’instruction ; c’est ruiner l’économie du pauvre et dilapider les caisses d’épargne ; c’est effacer la politesse et l’adoucissement des mœurs, et c’est mettre la jalousie, la haine et la lutte entre les classes à la place de cette communauté d’intérêts qui était la force et l’honneur d’une société prospère. Le dernier, l’unique prétexte révolutionnaire de M. de Lamartine disparaît donc écrasé sous le poids de son propre témoignage.

Dès le 21 février cependant, dès la veille des journées où s’est englouti le règne de Louis-Philippe, M. de Lamartine avait pris son parti d’une révolution et avait poussé ce cri des aventuriers et des joueurs qu’il a jeté depuis du haut de la tribune : Alea jacta est. Un grand nombre de députés de l’opposition s’étaient réunis chez un restaurateur