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délibérées, balancées, expérimentées ; c’est la marche assurée du connu au connu, tandis que la révolution court à l’inconnu, à travers les ténèbres sous les coups des fléaux de Dieu. Il y a, dit-on, des révolutions légitimes : c’est possible ; mais les révolutions ne sont légitimes pour les peuples qu’aux conditions où le suicide devient légitime pour les individus, comme une de ces extrémités où il ne reste à la vertu et à l’honneur d’autre ressource que l’héroïsme du désespoir. En dehors de ces exceptions terribles, appeler une révolution sur son pays, c’est, pour ainsi dire, appeler l’étranger, l’ennemi, dans le domaine de la liberté et de la raison humaine ; c’est un crime contre la patrie livrée comme enjeu, contre la philosophie reniée, contre Dieu défié.

M. de Lamartine reconnaît en maint endroit ces vérités ; à lui, plus qu’à aucun autre, il a donc fallu des raisons bien fortes pour entrer dans une révolution. Il déclare que « la question de gouvernement était pour lui une question de circonstance plutôt que de principe. Que si le gouvernement constitutionnel de Louis-Philippe eût tendu à accomplir graduellement et sincèrement les deux ou trois grands perfectionnemens moraux ou matériels demandés par l’époque, Lamartine eût défendu la monarchie. » Quels étaient donc ces deux ou trois perfectionnemens pour lesquels M. de Lamartine croyait pouvoir jouer la partie désespérée d’une révolution ? Je cite encore la déclaration de M. de Lamartine dans son emphase et dans sa naïveté imprévue : « Les deux idées principales que Lamartine (M. de Lamartine, comme César, parle de lui-même à la troisième personne) croyait assez saintes et assez mûres pour valoir l’effort d’une révolution, étaient entièrement désintéressées. Elles ne profitaient qu’à Dieu et à l’humanité… L’une était l’avènement des masses au droit politique, pour préparer de là leur avènement progressif inoffensif et irrégulier, c’est-à-dire à l’égalité de niveau, de lumière et de bien-être relatif dans la société. La seconde était l’émancipation réelle de la conscience du genre humain, non pas la destruction, mais par la liberté complète des croyances religieuses. Le moyen, à ses yeux, était la séparation définitive de l’état et de l’église. » Parmi les hommes qui ont une intelligence et une conscience, qui se serait jamais attendu à voir présenter de pareils prétextes comme la justification d’une révolution ? L’avènement des masses au droit politique par une révolution, c’est-à-dire leur avènement violent, offensif, irrégulier, « pour préparer de là leur avènement progressif, inoffensif, régulier, à la justice, » quelle contradiction ! quelle inconséquence ! Est-il permis à la pensée de se souffleter ainsi en une seule et même phrase ? Une révolution pour la séparation de l’église et de l’état ! Est-ce dérision ou impiété ? Faut-il rire, faut-il s’indigner ! Il est vrai que M. de Lamartine nous explique ce travers par une singulière conformation de nature : « Lamartine