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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE

VALENTIN.

Je me souviens maintenant d’une parole que je vous ai dite autrefois : je vous ai annoncé que l’orgueil sauvage qui fermait vos yeux à la lumière de l’Évangile vous rendrait fou. Vous l’êtes.

LE VENGEUR.

Par conséquent, il est inutile que nous raisonnions davantage. Vous avez raison. Voici, en deux mots, le plan de ma folie, et pourquoi je vous apporte la liberté. Dans mon opinion, les saints que vous attendez, et qui doivent sauver le monde, tarderont fort à paraître. Je ne crains rien qu’une victoire trop facile et trop prompte. Vos bourgeois ne demanderont qu’à se soumettre, et nos chefs révolutionnaires et socialistes qu’à s’arranger avec eux. Les voilà pourvus, ils vont devenir conservateurs. Je ne l’entends point ainsi, et je veux donner à la bourgeoisie des chefs qui l’obligent à résister. L’énergie de vos convictions vous rend propre à ce rôle. Voulez-vous le remplit ?

VALENTIN.

Oui.

LE VENGEUR.

Dites adieu à vos parens.

VALENTIN.

Mes adieux sont faits. Vos satellites ont assassiné mon père et ma mère, et ma femme a pris l’habit des veuves pour ne le plus quitter.

LE VENGEUR.

Elle est jeune et belle, et vous vous aimiez : je vous plains tous deux.

VALENTIN.

Nous sommes chrétiens, et moins à plaindre que vous.

LE VENGEUR.

Peut-être que, si j’avais rencontré beaucoup d’hommes comme vous, mes pensées seraient autres. Donnez-moi la main.

VALENTIN.

Je serrerai votre main quand je n’y verrai plus de sang ; d’ici là, ne me touchez qu’avec votre poignard.

LE VENGEUR.

Vous êtes tel que je vous veux. (Montrant Griffard.) Cet homme va rester pour protéger la maison et ses habitans. Moi, je vous accompagnerai jusqu’aux portes de la ville. Sortons d’ici sans mystère, pour apprendre tout de suite aux dictateurs quel est leur pouvoir devant le mien. Plus d’un croit être ministre qui ne sera que juré du tribunal révolutionnaire. Ils s’attendent à régner dans les délices ; je les nourrirai d’angoisses et de sang.

VALENTIN.

Ô justice de Dieu !

L. Veuillot.

(La seconde partie au prochain no .)